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Nos animaux sont-ils rancuniers ?

S’ils nous aiment, parfois notre retour au foyer n’est pas salué d’aboiements de joie ou de câlins. Comme s’ils nous tenaient rigueur d’une absence prolongée, ou pire, voulaient se venger !

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Nos animaux sont-ils rancuniers ?
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 Soyons honnêtes. Il nous est tous arrivé de penser que notre animal ne nous voulait pas que du bien. Surtout lorsque notre retour se solde par la découverte de nos chaussures mâchouillées, du canapé déchiré ou du lit souillé par le chat. À la culpabilité d’avoir laissé seul son animal (aggravée par le regard de chien battu de Médor et l’indifférence dédaigneuse de Minette) s’ajoute le doute de leur « volonté » de se venger.

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Mais les animaux sont-ils capables de désigner un ou des coupables et de prévoir dans un temps décalé (la vengeance demande toujours un moment de maturation) une réponse qui créera chez l’«adversaire» une douleur physique et/ou morale ? Reconnaissons qu’en matière de «vengeance animale», nos connaissances sont assez empiriques et ne se basent généralement que sur la foi de on-dit. Ainsi, il existe nombre d’histoires d’éléphants qui, un jour, massacrent leur cornac après des années de souffrance, la mémoire du pachyderme jouant une part importante dans la narration de ces représailles. Les seuls animaux sauvages dont nous savons la rancune tenace sont nos proches cousins, les chimpanzés, et cela grâce aux travaux du primatologue Frans de Waal. Ainsi décrit-il «des chimpanzés faisant respecter une règle imposée par des humains. Un soir, au zoo d’Arnhem, aux Pays-Bas, deux chimpanzés adolescentes ont refusé de rentrer dans leur cage à l’heure habituelle. Or la règle voulait qu’aucun singe ne reçoive de nourriture tant que tous n’étaient pas rentrés. Quand les deux femelles se sont enfin décidées à rentrer, avec plus de deux heures de retard, durant lesquelles les autres avaient dû attendre leur dîner, les gardiens les ont fait dormir à part pour leur éviter des représailles. Mais lorsque le lendemain, les deux coupables ont été remises avec les autres, elles ont été sévèrement punies par l’ensemble du groupe. Une leçon qui a été retenue puisque, le soir-même, elles ont été les premières à rentrer ! Cette vengeance après coup montre que les chimpanzés, qui n’étaient ­probablement plus en colère, au sens émotionnel du terme, le lendemain de l’incident, savent qu’il faut punir les coupables pour qu’ils ne recommencent pas.»* Rien d’étonnant, puisque le primatologue avait déjà démontré que nous partagions avec le plus politisé des animaux l’empathie, la jalousie et la trahison…

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L’anxiété du chien

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Mais nos gentils toutous, nos ronronnants matous rumineraient-ils des représailles dès nos talons tournés ? Seraient-ils capables de préparer et de savourer ce mets dont on dit qu’il se mange froid ? «L’idée que le chien agit délibérément dans le but de se venger me semble difficile à admettre, souligne Édith Beaumont-Graff, vétérinaire comportementaliste. Cela voudrait dire qu’il anticipe la réaction de son maître. En effet, on se venge pour punir l’autre, donc le vengeur sait à l’avance qu’il peut et va faire mal moralement à celui auquel est destinée la vengeance. Mais il agit aussi afin que l’élément déclencheur (ici l’absence) ne se reproduise pas. C’est une construction qui me semble un peu complexe.»

Une construction à laquelle nombre de propriétaires adhèrent pourtant, tout simplement parce qu’elle est, selon eux, confirmée par leur chien lui-même ! Pris de remords, n’adopte-t-il pas une attitude de culpabilité, comme s’il savait que ce qu’il a fait, c’est pas joli, joli ? En réalité, cette attitude de chien coupable que nous pensons que notre animal adopte n’est que celle d’un individu qui veut éviter toute réprimande, même s’il n’est coupable de rien. C’est ce qu’a démontré l’expérience du comportementaliste Peter Vollmer sur la chienne Mango. À chaque absence de son maître, celle-ci s’acharnait sur les journaux et les livres. À chaque retour de son maître, Mango prenait une attitude coupable et était punie pour sa faute.

Le scientifique fit alors déchirer des papiers hors de la vue de Mango, puis lui fit découvrir le carnage. Quand le maître revint, elle adopta instantanément une attitude coupable comme si elle en était l’auteur. En fait, souligne l’éthologue Dalila Bovet «Mango ne comprenait qu’une chose : que lorsque son maître rentrait et que des papiers étaient déchirés, elle était punie. Il ne s’agirait donc pas là d’une attitude de culpabilité, mais plutôt de l’attitude d’un “subordonné” qui anticipe la colère du dominant : un mélange de soumission et de comportements d’apaisement.»** Le chien destructeur n’agit pas pour se venger mais pour calmer son anxiété. Mâchonner des chaussures ou détruire un canapé, surtout si ces objets portent l’odeur des maîtres, produit un apaisement. Il ne faut donc pas expliquer à votre chien que la vengeance est un vilain défaut mais plutôt l’aider à apaiser son anxiété de séparation.

la politesse du chat

Et que penser du chat qui semble ignorer son maître quand ce dernier est de retour après une absence plus ou moins longue ? Pour le docteur Beaumont-Graff, il ne s’agit probablement pas tant de rancune que de «politesse». «Je pense que le chat est une espèce qui prend son temps et qui n’aime pas brusquer les choses, c’est en cela que j’emploie le mot de politesse. Lorsque deux chats sont amenés à cohabiter, cela peut prendre des jours, des semaines, voire des mois avant qu’ils ne se rapprochent. Le chat est habitué à son environnement, et si l’un des membres revient après l’avoir déserté pendant plusieurs jours, certains matous, pas tous, prennent leur temps pour le réintégrer dans leur champ proche.» Le chat ne se vengerait pas plus qu’il ne ferait la gueule, il prend juste son temps… Il n’est pas non plus exclu que, durant une absence prolongée de son maître, le chat traverse une forme de petite déprime due à l’absence. Le fait qu’il urine ou défèque dans des lieux inhabituels peut être lié à ce moment de stress. Le chat vit dans un monde d’odeurs. Il est donc probable qu’il choisisse ses lieux d’aisance en fonction de ce qui peut l’apaiser, un lit qui a l’odeur du maître, par exemple. Ce «coup de mou» se traduit aussi par un repli sur soi qui explique que l’animal feint d’ignorer le retour. Ce malaise se dissipe généralement au bout de quelques heures ou de quelques jours dès que le chat a reconquis tout son monde.

Si les agissements, interprétés comme rancuniers par les maîtres, sont plutôt considérés comme des stratégies anti-stress par les vétérinaires comportementalistes, qu’en est-il des comportements agressifs d’un chien ou d’un chat à l’égard d’un individu dont il se vengerait ? Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur Internet pour voir des dizaines de vidéos de chats qui se transforment en «tigres vengeurs». À chaque fois, les félins réagissent à chaud à une posture invasive d’une personne, généralement un jeu devenu un peu plus violent. À l’instar du «caressé mordeur» (qui mord la main qui le caresse), le chat est pris d’une grosse colère, un véritable coup de sang irrépressible dont il n’est pas toujours facile de suivre la construction. «Les chats sont des animaux très émotifs, des émotions qui peuvent se traduire par une grosse colère. Des patients sont venus me voir il y a quelques mois, parce que dès que leur petit enfant criait, le chat l’attaquait. Quelques temps auparavant, un objet était par mégarde tombé sur le chat, ce qui avait eu pour effet de l’effrayer et de faire pleurer l’enfant. Par association, le chat avait fini par attaquer l’enfant dès que celui-ci pleurait, une manière pour lui de faire retomber son stress. Là encore, le chat ne se vengeait pas sur l’enfant.»

Le cas du chien est plus complexe. Sa mémoire est suffisamment bonne pour qu’il se souvienne d’une personne qui l’aura molesté ou simplement stressé. En revoyant cet individu, ou un individu qui lui ressemble, le chien se tient sur ses gardes, pouvant se montrer menaçant s’il se sent acculé. Il pourra même être agressif s’il considère ce tiers comme un danger pour son territoire ou sa «famille». Il ne s’agit donc pas de vengeance, ni même de rancune, mais plutôt de défense. «Il ne faut pas oublier qu’un chien bien socialisé tente toujours de préserver son groupe, rappelle la vétérinaire comportementaliste. Mieux vaut donc toujours relativiser l’idée de vengeance ou de rancune chez le chien. J’ai vu des chiens battus qui fêtaient leur maître à chacune de leurs retrouvailles. Bien sûr, l’animal avait des signes d’apaisement et de soumission, car l’important pour lui était de conserver l’intégrité du clan, et certainement pas de semer la discorde en lançant une vendetta…» Pour une fois, le proverbe a peut-être raison : Le chien ne mord pas la main qui le nourrit, même si celle-ci frappe parfois fort…

* Dans la revue Études rurales, n° 189, 2012.
** Ibid.

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Publié le 3 juillet 2017
8 minutes
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