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L’instinct maternel est-il naturel ?

On le présente souvent comme inné et intrinsèquement lié à la condition animale. Sauf que l’instinct maternel est une notion beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

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L’instinct maternel est-il naturel ?
Shutterstock

Il y a cette lionne, au cœur du parc Kruger, qui se jette à l’eau pour sauver ses bébés des mâchoires d’un crocodile; cette maman ourse qui secoue un arbre jusqu’à permettre à son ourson, coincé au sommet, de retrouver la terre ferme ; ou encore cette femelle orignal qui accompagne son petit, pas à pas, dans la périlleuse traversée d’une rivière canadienne. Le web fourmille de ces images attendrissantes de mères qui couvent et cajolent leurs petits, leur apprennent à chasser ou s’interposent face à un prédateur, parfois au péril de leur vie.

«L’instinct maternel est divinement animal (…)», écrivait Victor Hugo dans son roman Quatrevingt-treize. L’affaire serait donc entendue et le lien mère/enfant évident, quelles que soient les espèces et les circonstances. Voire! Car les observations de terrain comme les recherches en éthologie ont montré que cette notion d’instinct maternel est infiniment plus subtile qu’il n’y paraît. Et que la diversité du monde animal réserve bien des surprises…

La part de l’inné

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Il y a assurément une grande part d’inné dans la capacité d’une femelle à pourvoir aux soins vitaux de son petit. «Ce que l’on appelle l’instinct est un ensemble de comportements et d’états mentaux présent indépendamment des apprentissages, définit Thierry Bedossa, vétérinaire et comportementaliste. Dans tout le vivant, une mère a cet ensemble. C’est l’esprit premier de l’évolution.» Bien sûr, ce penchant, «conçu» pour permettre la survie de la descendance, s’exprime de façon différente en fonction des besoins et du développement des nouveau-nés : chez les animaux nidicoles – comme le chat, le chien ou le pigeon – les jeunes naissent souvent nus, aveugles et incapables de se nourrir et de se déplacer seuls; c’est pourquoi ils quittent le nid relativement tard et restent sous la protection de leurs parents. À l’inverse, chez les nidifuges – comme le cheval, la poule, le lièvre, etc. – le rejeton est plus vite autonome et apte à chercher lui-même sa nourriture.

Chez certaines espèces, si l’attachement semble se manifester assez timidement – les insectes font rarement grand cas de leur progéniture et les œufs de la plupart des poissons, des reptiles et des batraciens sont abandonnés une fois pondus – il existe toutefois des exceptions. On sait ainsi que les femelles des perce-oreilles, tout comme certaines espèces de punaises, prennent soin de leurs œufs et de leurs jeunes larves. «Les femelles crocodiles, elles, construisent un nid et défendent les petits, tandis que certains pythons couvent leurs œufs et peuvent les maintenir à une température constante grâce aux vibrations de leur corps», précise Luc Fougeirol, spécialiste des reptiles et fondateur de la Ferme aux crocodiles de Pierrelatte (Drôme).

Du côté des mammifères, chez qui l’allaitement induit forcément un lien plus fort entre la mère et son petit, on sait que l’attachement maternel résulte de la combinaison de plusieurs mécanismes (libération d’hormones dans le cerveau, accouchement, odeurs et sons émis par le nouveau-né). Avant d’être mères, les femelles sont indépendantes et se consacrent à leurs propres besoins. «Lorsqu’on présente un jeune agneau à une femelle ni gestante ni mère, elle a une réaction de peur», souligne ainsi Frédéric Lévy, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste du comportement maternel chez les ovins.

Hormones et lactation

C’est souvent en fin de gestation que commence le processus d’attachement. Chez le chat, par exemple, la mère s’occupe déjà de ses chatons in utero, a observé Gwendoline Le Peutrec-Redon, comportementaliste spécialiste du félin et éleveuse de maine coon. «Elle peut être amenée à se lécher le ventre ou les flancs quand les petits se font remuants ou bien ronronner pour les apaiser», note-t-elle. Le phénomène de la mise bas et celui de la lactation feront le reste en libérant massivement des hormones comme l’ocytocine (appelée aussi «hormone de l’amour»), qui aide la mère à créer des liens avec son petit, ou la prolactine, qui permet la production de lait. C’est pourquoi des pertur­bations du comportement maternel peuvent être observées après une césarienne: «J’ai vu des chattes en état de frayeur absolue devant leurs chatons nés de cette façon», indique Gwendoline Le Peutrec-Redon.

question de circonstances

Pour autant, tout ne relève pas de la nature dans ce domaine. Comment expliquer sinon les défaillances de soin, les abandons – voire les infanticides – constatés chez certaines mères? L’âge de la femelle, son expérience, son tempérament mais aussi l’environnement dans lequel elle évolue sont en effet des facteurs déterminants. «Quand une chienne devient mère lors de ses premières chaleurs, elle est paumée, elle joue avec son chiot comme si c’était un jouet, relève Christelle Varnier, éleveuse de caniches toys et nains. À cet âge-là, elle n’est pas mûre dans sa tête.»

La question de la transmission joue également un rôle certain dans les attitudes maternelles : «On a observé qu’une rate qui a été élevée par une mère qui la léchait très peu va reproduire la même chose», fait remarquer Frédéric Lévy. Pas de fatalité cependant, car les animaux sont aussi capables d’apprendre les uns des autres et de calquer leurs comportements sur ceux de congénères plus attentifs à leurs nouveau-nés.

La proximité de l’homme peut également influer, positivement ou négativement, sur les pratiques des mères. Ainsi, si l’humain est source de stress ou qu’il propose des conditions de vie inadaptées, il n’est pas rare que certaines femelles se mettent à négliger, voire à dévorer leurs petits. «Si la mère est choyée, bien nourrie, que sa santé est surveillée, elle va avoir de l’amour à donner, explique Christelle Varnier. C’est une chaîne. Mais si elle ne voit l’humain que pour ramasser ses crottes ou qu’on la force à cohabiter avec ses chiots au-delà du temps nécessaire, la mère peut devenir agressive.»

Histoires d’adoption

La sélection artificielle a également profondément altéré les espèces domestiques, déplore Thierry Bedossa. «On les a sélectionnées sur des critères de type morphologique, d’aptitudes à certaines utilisations, en bref de fonctionnalités pour l’homme dans un contexte de compagnie, de loisir, d’utilisation ou de production. Un exemple parmi d’autres serait celui des espèces de vaches laitières les plus modernes et les plus performantes qui ont sans doute perdu en chemin une bonne partie de leur rusticité et de leurs aptitudes maternelles.»

Dans les parcs animaliers, il arrive que les soigneurs, tels des sages-femmes, interviennent pour pallier les déficits maternels et sauver des jeunes. «Nous avons eu le cas d’une femelle dromadaire qui, à la naissance de son petit, ne savait visiblement pas quoi faire, raconte Nicolas Leroux, chef animalier au ZooParc de Beauval (Loir-et-Cher). Quand il venait auprès de son pis, elle donnait un coup de patte comme si elle voulait chasser un insecte. C’est nous qui avons nourri le bébé au biberon pendant deux ou trois semaines, le temps que la mère se montre moins nerveuse. Si nous n’avions pas fait la transition, le petit serait mort.»

Mi-inné mi-acquis, l’instinct maternel tient également beaucoup au caractère de chaque individu. C’est pour cette raison que le monde animal recèle des histoires surprenantes d’adoptions intra­spécifiques, voire d’adoptions en­tre espèces… Au centre équestre des Grilles (Yonne), quand la maman de Fiesta est décédée suite à une hémorragie interne lors du poulinage, la pouliche a été nourrie au biberon pendant six mois. «Nous ne voulions pas la laisser sans référent et nous avons essayé de la mettre au contact d’autres chevaux, mais le lien ne se faisait pas, rapporte Stéphanie Nageleisen, instructrice et directrice du centre équestre. C’est finalement Diane, une petite ânesse de 2 ans, qui a pris Fiesta sous son aile et a fait son éducation et sa socialisation: elle l’emmenait brouter, se mettait tête-bêche avec elle en été pour chasser les mouches, etc. Et quand l’heure du biberon de Fiesta était passée de quinze minutes, elle se mettait à braire pour nous prévenir ! Aujour­d’hui, la pouliche a un an et demi, n’a aucun retard de croissance et vit en troupeau avec les autres poulains connemara. Je ne sais pas s’il y a eu un instinct maternel chez cette ânesse, mais quelque chose de merveilleux s’est produit.» Dans ce domaine-là aussi, la nature recèle une bonne dose de magie.

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