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Christian Kempf : “Quand l’ours vient, tout s’arrête.”

Voilà près d’un demi-siècle que l’explorateur scientifique Christian Kempf photographie des ours au cours d’expéditions dans le Grand Nord. Entre protection, souvenirs et tourisme vert, il nous livre ses observations et ses aventures dans un beau livre savamment illustré : ‘Ours polaires’.

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Christian Kempf : “Quand l’ours vient, tout s’arrête.”
Christian Kempf

Sur le terrain chaque été, il s’est adonné à la recherche en étudiant les oiseaux et les ours blancs avant de se consacrer entièrement à son concept de croisière-expédition, qui permet aux touristes qui le souhaitent de voyager respectueusement au royaume des glaces…avec l’espoir qu’ils deviennent à leur tour ambassadeurs de sa protection.

Animaux-online : christian kempf, en quoi consiste votre métier d’explorateur scientifique ?

Christian Kempf : Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’exploration ne se mesure pas en kilomètres ou en vitesse : l’exploration est un état d’esprit. En ce sens, tout le monde peut être explorateur :  je dis souvent aux gens que j’emmène en excursion que tout commence chez soi, quand on s’intéresse aux choses et que nos découvertes élargissent notre ouverture sur le monde. Pour ma part, les belles lettres de l’exploration se sont écrites dans le Grand Nord ; mais en 47 étés, je n’ai jamais privilégié les records, toujours les découvertes.

Christian Kempf. Passagers d’une croisière-expédition (à droite, Christian Kempf)

AO : vous avez 21 ans lorsque vous partez pour votre toute première expédition, en 1973 ; quel était votre objectif ?

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C. K. : L’objectif de ma toute première expédition était de dénombrer les colonies d’oiseaux de Spitzberg [ndrl : une île norvégienne de l’archipel du Svalbard], avec 8 autres ornithologues. Les mers étant peu profondes là-bas, nous savions qu’il y en avait beaucoup, mais là, nous partions pour les découvrir en premier, ce qui n’est pas rien lorsque l’on sait à quel point les oiseaux sont les indicateurs biologiques du milieu marin. Cette année fut donc ma première sur le territoire du roi de la banquise, même si l’heure de la première rencontre n’était pas encore venue.

AO : vous souvenez-vous, justement, de votre toute première rencontre avec un ours ? Quel effet cela fait-il ?

C. K. : C’est un de mes souvenirs les plus mémorables, compte tenu des circonstances : c’était en août 1975, le troisième été où je montais dans le Grand Nord, toujours pour recenser les colonies d’oiseaux, mais cette fois en mettant pied à terre. Avec mes collègues, on avait fait 50 km aller-retour pour tenter de croiser l’ours que d’autres avaient aperçu. On est revenus bredouilles pour se rendre compte que l’ours était rentré dans notre hutte pendant notre expédition puis était reparti ; et c’est finalement le lendemain que nous avons eu la chance de pouvoir en apercevoir un. L’objectif de mes expéditions est toujours avant tout de visiter son royaume, mais l’espoir que le roi nous accordera une audience est fort… et l’effet est toujours le même : quand l’ours vient, tout s’arrête.

Christian Kempf. Un jeune ours après un déjeuner de phoque sanguinolant

AO : après une cinquantaine d’années à cotoyer l’ours blanc, continuez-vous de découvrir des choses à son sujet ?

C. K. : Il y a deux grandes voies en recherche : la biologie et la physiologie d’une part, et l’écologie d’autre part. Entre les ours polaires étudiés dans les zoos et la centaine d’individus sauvages étudiés chaque année dans le Grand Nord, pas mal de choses sont aujourd’hui connues sur le plan physiologique. Mais sur le plan écologique, la fonte des glaces est catastrophique : on ne se rend pas encore compte de l’ampleur des dégâts sur l’ours polaire du fait de son statut de superprédateur*, mais sa maison change et cela a inévitablement un impact direct sur sa résistance au froid, sa fertilité, etc. Il y a donc encore bien des choses à observer sur son évolution contemporaine.

* Superprédateur = espèce animale qui n’a d’ennemis que ses congénères et l’humain.

AO : vous-même avez pu constater de grosses dégradations du territoire liées au réchauffement climatique depuis le début de votre vocation ?

C. K. : Oui oui oui. Du réchauffement climatique découle forcément de la glace qui fond. La glace la plus répandue est dans le sol, je ne peux donc pas la voir puisque je n’ai pas la tête dans le sol ; mais pour la banquise, c’est tout à fait clair. Avant il était impossible d’aller sur certaines côtes où l’on peut désormais aller sans difficulté. En 40 ans, 40 % de la banquise a fondu, à tel point qu’il m’est arrivé de la chercher depuis le bateau. Quand on navigue entre les mers avec les sonars, on va parfois vers des fronts de glace qui, avant, étaient des glaciers. Tout cela sans compter nos particules fines de polluants qui sont poussées par le vortex polaire directement sur les sols du Grand Nord… et donc droit sur l’ours. C’est une véritable catastrophe.

À lire aussi : Réchauffement : vers l’extinction des ours polaires d’ici 2100

Christian Kempf. Une bien maigre banquise pour cet ours perdu au milieu de l’eau

AO : quel est votre souvenir le plus marquant avec un ours polaire ?

C. K. : Outre « mon » premier ours, mes souvenirs les plus marquants sont probablement ceux où j’ai eu le plus peur, comme cette fois où un ours que je photographiais est venu très très près pour renifler, ou cette fois où un autre ours est passé entre nos sacs de couchage pour aller chercher un phoque. En sachant qu’un ours sur quatre mange de l’humain, j’avais constamment ce double objectif : assurer ma survie et ne pas tuer le seigneur en sa demeure. Heureusement, aucun de ces deux individus ne semblait avoir faim au moment où nous les avons croisés, sinon je ne serais pas ici pour vous en parler ! Mais si je devais parler plutôt des plus beaux souvenirs, je choisirais plutôt ceux gravés depuis le bateau, en plein jour, quand des ours curieux s’intéressent à notre embarcation et que l’on peut les observer en train de nager, de se rouler, de s’occuper de leurs petits, etc.

Le saviez-vous ?

Au Groenland, au Canada et en Alaska, la chasse à l’ours blanc est autorisée, sous quotas, pour les Inuits disposant d’une licence. Chaque année, entre 1000 et 1200 ours blancs sont donc tués en toute légalité (tandis que d’autres sont victimes de braconnage), et sont revendus pour d’importantes sommes permettant aux peuples de subsister.

Christian Kempf. Un ours se séchant le pelage en se roulant comiquement sur la banquise

AO : comment avez-vous arrêté votre choix sur les photographies à garder pour votre beau livre « ours polaires » (253 clichés sur des milliers) ?

C. K. : C’est en triant mes photos que je me suis dit que dans les livres, on ne trouve toujours que des ours qui vous regardent ou qui se promènent, quelquefois en gros plan quand les scientifiques ont besoin des les étudier, mais c’est tout. On ne trouve que peu de photos d’ours dans leur vie de tous les jours, et pour cause : qui a passé autant de temps avec eux ? Une mission de terrain dure environ huit jours, là où moi, je croise et photographie des ours dans tous leurs états, qu’ils soient en train de chasser, de manger, d’allaiter, de faire pipi-caca, de jouer, de plonger, etc. J’avais envie de montrer l’ours au quotidien.

Christian Kempf. Moment de tendresse entre une mère et son ourson

Un pari réussi pour le plus illustré des beaux livres sur l’ours blanc, à retrouver ici et dans toutes les bonnes librairies !

« Ours polaires » de Christian Kempf, éditions de L’Escargot savant, 272 p, 64,50 €.

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