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Mort d’Elisa Pilarski : son chien Curtis est-il le seul coupable ?

Les éléments incriminant Curtis, le chien du compagnon d’Elisa Pilarski, que cette dernière promenait seule dans la forêt, s’accumulent. Expertise comportementale, vétérinaire, ADN… Il serait le seul et unique coupable de la mort de la jeune femme. Que penser de tout cela ? Quel sera l’avenir de Curtis ? Animaux-Online revient sur cette affaire dans son ensemble.

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Mort d’Elisa Pilarski : son chien Curtis est-il le seul coupable ?
DR

Rappel des faits

Âgée de 29 ans et enceinte, Elisa Pilarski se baladait en forêt de Retz (Oise) avec le chien de son compagnon, Christophe Ellul, le 16 novembre 2019. Au même moment, une chasse à courre se déroule non loin d’elle, avec une vingtaine de chiens. C’est alors qu’elle appelle en urgence son conjoint pour lui faire part de sa peur face à plusieurs chiens menaçants. Il se met immédiatement en route pour la rejoindre mais ne retrouvera que son corps, meurtri par de multiples morsures. L’enquête a alors pour but d’identifier le ou les animaux responsables de sa mort. Les chiens de chasse à courre ? Curtis ? Les deux ? Une information judiciaire contre X est en cours dans cette affaire pour « homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence (…) résultant de l’agression commise par des chiens ».

Curtis désigné seul coupable par les expertises

Afin d’identifier le ou les animaux responsables, des prélèvements génétiques ont été effectués sur 67 chiens : les 5 american staffordshire du couple, et 62 autres appartenant à l’association le Rallye la Passion, qui organisait la partie de chasse. Alors que le drame s’est déroulé il y a bientôt un an, les résultats de ces tests viennent seulement de sortir : seul l’ADN du chien de la victime était présent sur les plaies de cette dernière, sur son corps et à l’intérieur de ses vêtements. Si un ADN « inconnu » de chien a été retrouvé sur son écharpe, il ne s’agit d’aucun des chiens de chasse. L’ADN d’Elisa a également été retrouvé au niveau de traces de sang sur la babine de Curtis, au niveau de son œil et de son harnais.

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Juste avant, en septembre, un expert vétérinaire avait souligné, dans un rapport, l’agressivité du chien, et sa tendance à mordre. En effet, Curtis aurait été entraîné au mordant, à combattre d’autres chiens aux Pays-Bas (ce qui est interdit en France) et avait déjà mordu sa maîtresse 4 mois avant son décès. Tout récemment, une nouvelle expertise réalisée par deux vétérinaires mandatés par la justice venait de conclure, de manière catégorique, et d’après l’analyse des morsures reliée à la taille des mâchoires des animaux, que Curtis était le seul et unique coupable. 

Des conclusions catégoriques

« Les résultats des tests ADN confirment définitivement l’innocence des chiens » de la chasse à courre, et incriminent le chien Curtis, a affirmé la société de vénerie « Rallye la Passion ». Même discours quelques jours avant, lors de la diffusion du rapport des deux vétérinaires : « Le chien Curtis est l’unique auteur des morsures ayant causé le décès, écrivaient les deux experts. Les morsures individualisables sont compatibles avec la mâchoire du seul Curtis, et non des chiens de chasse ». Le rapport des vétérinaires précise toutefois que les chiens de chasse à courre pourraient avoir joué un rôle en excitant Curtis, « lui faisant perdre le contrôle ».

La nécessité d’une contre-expertise ?

« C’est un réquisitoire, pas un rapport d’expertise. C’est très étonnant de la part de vétérinaires de déboucher sur quelque chose d’aussi catégorique, avait réagi auprès de l’AFP l’avocat de Christophe Ellul, Alexandre Novion. L’opinion éponge depuis des mois des attaques récurrentes contre (Christophe) Ellul et son chien, déplore-t-il, se réservant le droit de demander une contre-expertise. Ce rapport me paraît singulièrement en contradiction avec les conclusions de l’autopsie qui indiquait qu’Elisa Pilarski était décédée de morsures d’un ou plus probablement plusieurs chiens et qu’il y avait cette notion de différences de morphologie et de profondeur mais aussi une intrication des morsures », a-t-il également spécifié à L’Est éclair. L’avocat estime par ailleurs qu’il n’est pas fait état dans ce rapport de « réflexion logique sur la muselière » que le chien portait et aurait enlevé (d’où ses blessures), ni de l’absence de cohérence sur le caractère même du chien « qui mord et verrouille. Rien à voir avec les morsures anarchiques sur le corps ».

Pour ce qui est du comportement de Curtis, ce chien est enfermé depuis le début de l’affaire. Mis sous scellés dans la SACPA de Beauvais (60), il a ensuite été transféré dans un autre établissement. Ce contexte d’enfermement, suite à un événement traumatisant, rend les conclusions sur son comportement sujettes à caution. Enfin, concernant les analyses ADN, l’avocat a déclaré à l’AFP : « C’est un rapport que nous avons attendu très longtemps et ces longs délais sont, pour moi, suspects. J’attends plus d’informations sur la manière dont les experts ont travaillé et la méthodologie et je ne souhaite pour l’instant pas me prononcer. »

Quel serait le scénario le plus probable ?

Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste, qui a depuis le début suivi l’affaire de près, s’était exprimé la veille de la divulgation des tests ADN :


« Le scénario le plus probable est celui d’une succession de mauvais hasards. Ce chien est issu d’un processus de sélection qui l’a peut-être amené à avoir des tendances à se mettre facilement en colère et, parce qu’il a été entraîné, à mordre facilement. D’après ce que j’ai appris, il porte une muselière, mais se retrouve – alors qu’il n’est pas promené par la personne qui le connaît le mieux, avec laquelle il est le plus en confiance – face à un groupe de chiens qui chassent. Ils ont, par contagion émotionnelle, pas synchronie comportementale, eu une influence sur les comportements de Curtis. Elisa se retrouve un peu paniquée, débordée… Est-ce que, voyant que Curtis est en colère, elle lui retire elle-même sa muselière ? Est-ce qu’il se la retire tout seul ? Je n’en sais rien. Est-ce qu’il est le premier à se retourner contre elle ? Est-ce qu’il est le seul à la mordre ? Je n’en sais rien, mais, en tout cas, je doute qu’un chien de 17 kilos – puisque c’est a priori un des éléments versés à l’instruction – aussi féroce soit-il, aussi en colère soit-il, soit capable de faire tomber Elisa puis de s’acharner sur elle et d’être responsable de sa mort par morsure, puis par hémorragie. Je doute qu’il soit responsable tout seul de ce dramatique accident ».

Malgré les résultats ADN, son avis n’a pas changé. « Si seul l’ADN de Curtis est retrouvé sur le corps d’Elisa, cela montre, a priori, sa lourde responsabilité dans son décès. Mais s’il y a l’ADN d’un autre chien, ce qui semble être le cas, alors ça change tout ! », s’exclame-t-il. Selon lui, c’est l’accumulation d’incohérences et la lenteur des expertises qui entraînent obligatoirement le doute et la méfiance chez beaucoup de personnes. « Il faut que le secret de l’instruction soit levé et que la défense de Curtis soit assurée indépendamment de celle de Christophe Ellul », estime le défenseur des animaux.

Que va devenir Curtis ?

« Je ne sais pas si les résultats ADN mettent un terme à cette affaire. Ce qui est sûr, c’est qu’ils mettent un terme aux accusations portées contre mon client, insiste Maître Poirette, l’avocate du maître d’équipage du Rallye la Passion. Pour l’instant, les chiens de mon client ayant participé à la chasse à courre sont toujours sous scellés. Je vais en demander la levée, et il est fort probable que cela soit accordé ». L’avocate ajoute que, concernant le sort de Curtis, lui aussi toujours sous scellés, ce sera à la justice de décider. 

« Malheureusement, quand un chien présente une dangerosité aussi avérée, je pense que l’euthanasie est la seule solution, déclare le vétérinaire Thierry Bedossa. Bien sûr, il y a la solution d’un hébergement adapté, mais quel professionnel risquerait un nouvel accident ? Donc je pense que ce serait une attitude raisonnable que de le mettre humainement à mort, qu’il soit entouré de bienveillance, que ça se fasse sans maltraitance ». Selon lui, laisser croupir ce pauvre chien dans un boxe de 5 m2 depuis 1 an – si telle est la réalité de ses conditions d’hébergement –, ce n’est pas humain.

Les problématiques soulevées par cette affaire

Cette affaire, mais également toutes celles impliquant de la cruauté envers les animaux, pâtissent d’un grave manquement, en France : l’absence d’une médecine vétérinaire légale. C’est-à-dire d’une spécialité qui détermine les causes des lésions d’une victime (humaine ou animale), notamment les causes des décès lorsque ceux-ci ne sont pas dus à la maladie. Or, cette discipline est enseignée dans les écoles vétérinaires aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Italie et aux Pays-Bas, des pays bien plus avancés que le nôtre sur le sujet.

"En France, l’Association francophone des vétérinaires praticiens de l’expertise (AFVE) aborde ces questions dans l’enseignement post-universitaire (EPU) qu’elle dispense. Le diplôme d’expertise vétérinaire de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), créé à l’initiative de l’AFVE, y consacre plusieurs heures, mais l’enseignement initial dans les écoles vétérinaires ne permet pas encore aujourd’hui de se former pleinement à cette discipline", expliquait encore, en 2017, le journal La Semaine vétérinaire.

Pour Thierry Bedossa, cette absence de formation entraîne une incohérence face aux accusations des deux vétérinaires dans le dernier rapport d’expertise. « Avec tout le respect que j’ai pour mes confrères, je ne pense pas qu’ils aient suffisamment d’expertise, surtout face à ce genre de cas rarissimes, pour se prononcer de manière aussi formelle et absolue. Et je ne peux pas expliquer que des résultats aussi basiques, aussi triviaux que des mesures d’écart de dents ou de profondeur de crocs – puisque les chiens de vénerie ont des canines qui sont beaucoup plus développées qu’un chien de 17 kilos – sortent seulement maintenant », avait-il déclaré en vidéo.

Enfin, plus qu’un affrontement pour ou contre la chasse, cette affaire souligne un véritable problème de fond : la rencontre de propriétaires d’animaux de compagnie, ayant peu de force physique pour certains, peu de connaissances du comportement canin pour d’autres, qui se retrouvent à côtoyer de grandes meutes de chasse à courre. Pour Thierry Bedossa, il est certain que cela engendre un risque d’accident. « C’est un débat politique sur lequel les élus doivent intervenir », conclut-il.

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Publié le 5 novembre 2020
9 minutes
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