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Le Masaï-Mara a conscience de l’intérêt de préserver sa faune

Tony Crocetta est un photographe professionnel, amoureux des animaux et plus encore de l’Afrique. Il y a une bonne dizaine d’années, il a tout quitté, son emploi, la France, pour créer son entreprise de safari photographique en plein cœur du Masaï Mara, « Melting Pot Safari ». De retour sur « ses » terres africaines, après la crise du Covid-19, il nous fait un bilan de ce que traverse ce pays, sa faune et sa population…

Le Masaï-Mara a conscience de l’intérêt de préserver sa faune
Tony Crocetta

La crise sanitaire a stoppé les voyages vers les parcs africains pour aller à la rencontre des animaux sauvages. Cette pause a-t-elle été bénéfique pour la faune sauvage du Masaï Mara ?

Je ne le pense pas ! Globalement, l’intermède aura duré à peine plus de quatre mois. Le Kenya fut le pionnier des safaris photo, les animaux sont habitués depuis des décennies à voir circuler les véhicules 4×4 de tourisme autour d’eux. Même les plus vieux éléphants qui peuvent atteindre l’âge de soixante ans ! Je n’ai noté strictement aucun changement de comportements, de quelle que nature que ce soit, ni même davantage de naissances à mon retour à Masai-Mara.

La désertion des touristes a-t-elle laissé le champ libre aux braconniers comme certains médias le disent ?

Là aussi, je ne le pense pas, pour ce que je peux en savoir. En tout cas pas à Masai-Mara, qui était contrôlé par des rangers. Quelques cas de braconnage ont été révélés, notamment à Tsavo (une girafe dépecée pour sa viande), mais cela reste marginal.

Shutterstock. Un cas de braconnage sur une girafe est à déplorer durant le confinement dans le Masaï-Mara.

Les populations locales qui vivent du tourisme animalier ont-elles souffert de l’absence des touristes ?

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Oh que oui ! Au Kenya, pas de chômage partiel, pas de chômage tout court et aucune aide de l’Etat ! Les gens furent priés de rester chez eux, l’immense majorité n’ont reçu aucun argent ni aucun salaire durant cette sinistre période de confinement. Beaucoup d’entreprises n’ont pas rouvert, et ne rouvriront probablement pas pour cause de faillite, beaucoup d’hôtels ne reçoivent plus aucun client. La compagnie aérienne Kenya Airways est moribonde, des plans de licenciements sont en cours. Une grande partie de la population s’est paupérisée.

Cela remet-il en cause leur rapport à l’animal sauvage dont la valeur, vivant, a chuté ?

Il est certain que dans le domaine du tourisme et des services, on pleure l’absence des visiteurs étrangers, pourvoyeurs d’argent frais et d’emplois. Je commence à voir arriver des Kenyans dans le parc du Masai-Mara. Les lodges ont diminué drastiquement leurs tarifs pour accueillir, en désespoir de cause, une population locale… ce qui n’arrivait quasiment jamais auparavant.

Shutterstock. Les Kenyans ont conscience de l’intérêt de conserver la faune du pays.

Le regard des Kenyans sur la faune à t-il changé ?

Je ne peux rien affirmer pour l’heure, il faudra du temps pour observer un potentiel changement. Je baigne dans le Masai-Mara où la population, essentiellement massaï, a conscience de l’intérêt de conserver sa faune.

Les autorités du Kenya ont indiqué que la population des éléphants a doublé ces trois dernières décennies. L’avez-vous constaté ? A quoi cela est-il dû ?

Il faut prendre ces chiffres aves des pincettes. Il est vrai que le gouvernement kenyan combat le braconnage d’une façon plutôt exemplaire ces derniers temps. J’observe effectivement depuis quelques années de nombreuses naissances parmi les groupes d’éléphants. Il me semble qu’il y a davantage d’éléphanteaux dans les troupeaux, au moins à Masai-Mara et Samburu. C’est rassurant et prometteur… Mais de là à affirmer que la population à doublé, je suis sceptique…

Shutterstock. La population des éléphants au Kenya aurait doublé en trois décennies.

Certains disent que le tourisme de masse nuit à l’environnement et la nature. Peut-on faire ce reproche aux safaris photographiques animaliers ?

Il est vrai que la grande faune se passerait bien des véhicules 4×4 qui déambulent autour d’elle, quasiment tous les jours, toute l’année. Certaines espèces sont très sensibles au dérangement. Les guépards, par exemple, sont des animaux fragiles, qui ne survivent que parce qu’ils chassent des proies vivantes (ils ne sont jamais charognards). Ils sont de véritables stars, la pression est parfois forte et les véhicules ou le comportement de certains « chauffeurs-guides » inexpérimentés ou avides de bons « pourboires » peuvent empêcher le bon déroulement de la chasse… qui se solde par un échec. Cela affecte l’espèce.

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Cela étant dit, pas de tourisme, pas d’argent ! Pas d’argent pour payer les rangers luttant contre le braconnage ou les comportements délictueux, ou certains programmes de conservation (du rhinocéros par exemple qui nécessitent parfois l’utilisation d’un coûteux hélicoptère). Le tourisme est nécessaire… mais il y a sûrement une voie et un équilibre subtil à trouver entre un tourisme dit « de masse » et un autre plus intelligent, avec un nombre limité de touristes… ce qui aura bien sûr une conséquence sur le coût d’un safari, qui sera toujours plus cher et par conséquent élitiste.

Certains animaux que vous croisez tous les jours vous marquent-ils plus que d’autres ?

Lorsque l’on vit au contact intime des animaux, on finit par les reconnaître individuellement. Je reconnais par exemple au premier coup d’œil, sans avoir à vérifier par le dessin de ses rosettes, une jolie panthère du nom de Romi (ce sont les guides locaux qui nomment les animaux les plus charismatiques), Gargantua, l’un des plus vieux éléphants du Masai-Mara aux défenses démesurées, la « guéparde » Malaïka qui est morte noyée, ou le célèbre lion Scarface qui est une star parmi les stars du Masai-Mara. Lorsqu’on les côtoie depuis de nombreuses années, on finit par s’y attacher, malgré nous, même si pour ma part je ne lutte pas contre ces sentiments. Ce sont des individus à par entière. Lorsque l’un d’eux disparaît, violemment, par accident ou de vieillesse, c’est toujours avec un pincement au cœur et un sentiment de vide vertigineux parfois. A chaque fois, je me dis que le Masai-Mara ne sera plus jamais comme avant.

Shuttrstock. Le lion Scarface, une star du Masaï-Mara, reconnaissable à sa cicatrice sur l’œil droit !

Vous arpentez depuis plus de 30 ans le Masai Mara. L’Afrique et sa faune sont-ils les mêmes que lorsque vous les avez découverts ? Profitez-vous toujours de la même richesse faunistique ?

Le Masai-Mara est un parc exceptionnel où la faune est plus abondante et diversifiée que partout ailleurs en Afrique. Pour autant, son équilibre est rompu depuis bien longtemps. Les causes sont diverses et variées. Je peux en citer quelques unes : les brûlis sans contrôle qui ont anéanti toute une frange de la biodiversité (insectes, serpents, tortues…), le braconnage bien sûr, le grignotement par la population locale des limites de la réserve (1510 km2) qui se réduit année après année sous la pression des éleveurs de bétail et la demande en terre agricole. Il faut bien nourrir les Kenyans… Les lycaons (un chien sauvage) ont quasiment disparu, les rhinocéros ne se comptent plus que par une vingtaine d’individus, je ne vois plus de caracal depuis 5 ans… Et les guépards comptent mois de 40 à 60 spécimens dans tout le Mara.

Etes-vous optimiste pour l’avenir ?

Je n’aime pas dire cela, mais je pense l’avenir du Masai-Mara, et celui de bon nombre d’autres parcs africains, compromis. Depuis 35 ans que je vadrouille en Afrique, je ne vois que des batailles perdues ici et là. Celles gagnées sont bien trop rares et toujours précaires (gorilles de montagne par exemple au Rwanda et en Ouganda). La démographie, la corruption, le braconnage, l’élevage intensif de plus en plus de têtes de bétail auront à terme raison de la grande faune. J’ai beau retourner cela dans tous les sens, j’ai l’intime conviction que c’est inéluctable. Mais j’espère me tromper…

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