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Bernard Devaux : l’homme aux tortues

Passionné par les tortues, Bernard Devaux, qui présentera une conférence à l’université d’été de l’animal, leur a dédié des villages, installés en France, au Sénégal et à Madagascar. Ces lieux sont à la fois des centres d’études et de découvertes de ces reptiles venus de la préhistoire. Une longévité exceptionnelle due, selon lui, à une forte capacité de résilience qui permet toutes les adaptations pour survivre…

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Bernard Devaux : l’homme aux tortues
DR

A-O : Vous êtes un passionné des tortues. Comment naît ce genre de fascination pour un animal somme toute peu expressif et indifférent à l’homme (contrairement à l’animal de compagnie) ?

Bernard Devaux : Naturellement, pour moi, les tortues ne sont pas inexpressives ou indifférentes et j’ai des contacts avec elles très proches, très directs. Comme avec les tortues sillonnées du Sénégal, ou celles de l’atoll d’Aldabra. Nous échangeons des regards, et quand on les caresse sous le cou ou à l’arrière de la dossière, elles se dressent comme en extase, et expriment un contentement. Les tortues d’eau américaines, également, manifestent bruyamment dans leur aquarium lorsqu’elles nous voient approcher. Par ailleurs, leurs couleurs très variées, leurs comportements extrêmement adaptés à leurs milieux, et leur robustesse physique, ainsi que leur longévité, m’ont toujours fasciné. Et puis ce sont des vétérantes, qui sont là depuis 210 millions d’années ! Beaucoup de peuples les vénèrent, comme en Asie, où on les crédite de nombreuses vertus, comme la longévité ou la fécondité. Enfin, le fait qu’elles soient presque toutes menacées, ajoute à leur séduction, car j’ai envie de les aider, de sauvegarder un petit animal isolé sur une île ou dans un biotope perturbé. C’est le côté « boy-scout » de mon travail, le côté « humanitaire » ; elles ont besoin de nous pour survivre !

DR. La tortue noire du Bengladesh vit dans le bassin du temple de Botsami.

A-O : Cette espèce est une grande famille dont les membres ne se ressemblent pas forcément. Certains même ne ressemblent pas du tout à des tortues telles qu’on les imagine. Pourquoi toutes (et tant) de différences ?

C’est vrai, il existe des « tortues molles », dont la carapace semble évanouie, et qui sont recouvertes d’une peau souple, ou d’un cuir épais. D’autres sont plates comme des crêpes, pour se glisser entre les plaques basaltiques qui se trouvent en Tanzanie. D’autres encore ressemblent à des végétaux, pour se camoufler dans les eaux vaseuses de Guyane. Cela tient à l’une de leurs qualités ; une souplesse adaptative remarquable ! J’admire leur talent pour se fondre dans leur habitat, ou pour échapper aux prédateurs, ou au contraire pour attirer un partenaire sexuel. C’est cette variété chez les chéloniens, cette perpétuelle adaptation aux contraintes environnementales, qui explique qu’elles soient encore là, répandues sur presque toute la terre, depuis des centaines de millions d’années. Peu de familles animales sont aussi longévives.

B. D. : Ces animaux qui semblent tout droit sortis de la préhistoire sont-ils réellement les plus vieux sur notre terre ? Comment peut-on expliquer qu’ils aient survécu là où les dinosaures ont disparu ?

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Ce sont les plus vieux vertébrés de nos contrées et les plus anciens de tous les reptiles. Les tortues ont survécu aux dinosaures car lors du cataclysme qui a éradiqué les reptiles de grande taille, elles se sont réfugiées dans les marais et les cours d’eau, ont réduit leur taille, et ont consommé tous les déchets organiques subsistants. Elles ont des capacités de résilience exceptionnelles.

DR. La tortue du désert, sillonnée, peut atteindre 100 kilos pour les mâles. Elle vit dans le Sahel, en Afrique.

A-O : Aujourd’hui, vous qui avez voyagé sur toute la planète pour connaître cette espèce, où pensez-vous qu’elle soit le plus menacée ? Pourquoi ? Où est-elle le mieux préservée ?

B. D. : Les tortues les plus menacées souffrent surtout des activités humaines (consommation, destruction des milieux, pollution, commerce), et les espèces qui sont au bord de l’extinction se trouvent surtout en Asie, car elles sont trop lourdement exploitées dans cette région. Mais quelques autres espèces sont également très rares, et ne subsistent qu’à une dizaine d’exemplaires, comme à Madagascar et au Mexique. Sur les 340 espèces qui existent, les deux tiers sont actuellement menacées !

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A-O : En France, dernièrement, des tortues caouannes sont venues pondre sur une plage de Fréjus alors que cela n’était jamais arrivé. Comment doit-on interpréter ce phénomène ?

B. D. : Les tortues marines, autrefois, venaient pondre sur nos plages hexagonales, surtout en Provence et en Corse, mais également sur les côtes de l’Atlantique. Et puis nous avons modifié et occupé les plages, créé de la pollution, de l’urbanisation, et du tourisme, et depuis un siècle il est rare qu’elles reviennent sur nos côtes. Toutefois, de temps en temps, une tortue isolée se risque sur une bande de sable qui semble plus tranquille, ou dénuée d’occupation humaine, et elle le fait en pleine nuit, quand ces lieux sont paisibles. Mais cela ne peut que rester exceptionnel, car les conditions ne sont plus adéquates pour qu’elles reviennent autour de l’hexagone. En revanche, dans nos îles lointaines, après des mesures conservatoires, les tortues marines commencent à revenir, comme en Polynésie, ou dans les Antilles.

Shutterstock. En Guyane, les tortues luth viennent encore pondre en grand nombre…

A-O : Vous avez créé le village des tortues de Gonfaron, aujourd’hui installé à Carnoules. Pourquoi ce village ? Racontez-nous cette création et son objectif ?

B. D. : C’est en m’intéressant aux tortues d’Hermann il y a 35 ans, que j’ai fondé avec un ami Anglais, David Stubbs, une association pour « étudier et protéger les tortues ». Et pour financer nos activités, nous avons ouvert le premier Village des Tortues à Gonfaron, en 1987, qui a immédiatement intéressé le public. Ensuite, j’ai créé d’autres villages, en Corse, au Sénégal, à Madagascar, et en 2017 à Carnoules, non loin de Toulon. Ces villages ont un but scientifique et conservationniste, avec des programmes visant à reconstituer des populations sauvages, mais également un but pédagogique. Car nous essayons surtout de convaincre le maximum de gens que les tortues ne sont pas des animaux de jardin, mais des animaux sauvages, qu’il faut protéger « dans leur habitat d’origine ». Petit à petit, semble-t-il, les mentalités évoluent, et le commerce de ces animaux se réduit fortement depuis une trentaine d’années.

A-O : Vous êtes aussi peintre. Notamment de fresques où les tortues et des animaux préhistoriques se côtoient… Votre passion des tortues aurait-elle envahie celle que vous nourrissez pour la peinture ?

B. D. : Ma passion pour les tortues s’est étendue en effet à mes autres activités, comme la peinture murale ou sur fresque, la réalisation de maquettes géantes, la conception architecturale de Villages des Tortues. Mais cet intérêt profond pour les tortues s’est surtout manifesté sur le plan littéraire, et j’ai écrit une douzaine d’ouvrages sur ces animaux, dont deux Encyclopédies, et j’édite depuis 32 ans une revue spécialisée, nommée LA TORTUE, qui est diffusée dans de nombreux pays. Mon objectif est toujours le même : mieux faire connaître, pour mieux sauvegarder !

DR. La vie secrète des tortues, de Bernard Devaux, paru aux éditions Delachaux&Niestle.

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