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Clinique de fertilité canine : des pratiques préoccupantes ?

Une nouvelle enquête anglaise pointe du doigt le nombre étonnant de cliniques de fertilité recensées au Royaume-Uni. Un business lucratif où le bien-être animal n’est pas forcément la priorité…

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Clinique de fertilité canine : des pratiques préoccupantes ?
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En 2015, le journal officiel de la British Veterinary Association (BVA), Vet Record, connaissait l’existence d’une seule clinique de fertilité canine au Royaume-Uni. Aujourd’hui, en 2020, il en recense au minimum 37. Dans une enquête publiée dans le numéro de février, la revue alerte sur des pratiques parfois limites, mettant de côté le bien-être de l’animal…

Un vétérinaire sur place ?

Parmi les structures identifiées, certaines sont des cliniques vétérinaires, basées à un emplacement fixe. « D’autres sont des entreprises mobiles, ont des sites internet rudimentaires et n’offrent qu’un numéro de mobile anonyme comme point de contact », exposent Josh Loeb et Eleanor Evans, journalistes et coauteurs de l’enquête. D’après leurs recherches, la majorité ne semble pas disposer d’un vétérinaire sur place. C’est un problème car ces établissements proposent presque tous des prestations réalisables uniquement par un professionnel, comme des prises de sang ou des césariennes. « Cependant, ils ont toujours la possibilité d’embaucher un vétérinaire pour effectuer des chirurgies le moment venu », précise l’article.

Inséminations artificielles et césariennes à outrance ?

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D’après l’enquête, l’augmentation du nombre de cliniques de fertilité est corrélée avec celle des inséminations artificielles. Les chiffres du Kennel Club (l’équivalent de la Société Centrale Canine en France) montrent qu’il y a eu plus de naissances issues d’une insémination au cours des trois dernières années qu’entre 1998 et 2015. Cette tendance serait liée à l’augmentation de la popularité des races brachycéphales – les chiens au nez court et aux visages plats – qui, souvent, n’arrivent pas à s’accoupler naturellement en raison d’une incapacité à respirer correctement. En effet, d’après les données du Kennel Club, le nombre de chiots bulldog français et bulldog anglais augmente d’année en année depuis 10 ans. Entre 2009 et 2018, il y a eu une augmentation de 153 % du nombre de bouledogues anglais inscrits au Kennel Club et une augmentation de plus de 3 000 % du nombre de bouledogues français. Ce sont ces mêmes races pour lesquelles la césarienne est fréquente à cause de leurs petites hanches et de leur grosse tête…

Vet Record. Statistiques sur les races du Kennel Club montrant le nombre d’inscriptions de bouledogues anglais, de bouledogues français et de carlins par an

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Un business lucratif sans réglementation au Royaume-Uni

« Le coût moyen déboursé dans une clinique mobile proposant le suivi de grossesse, la collecte de sperme, son analyse, le test de progestérone (hormone impliquée dans la fécondation) et l’insémination artificielle est estimé à 9 070 £ (soit 10 832,30 €, ndlr). Cela signifie qu’il est possible de réaliser rapidement de gros profits grâce à ces entreprises », détaille l’enquête. Il s’agit donc d’un facteur supplémentaire pouvant expliquer l’ouverture croissante de ce genre de centres au cours de ces dernières années. « Contrairement aux entreprises qui élèvent et vendent des chiens, celles qui proposent des étalons, l’insémination artificielle et les échographies n’ont pas besoin d’une licence pour fonctionner. Ils ne sont généralement pas réglementés, sauf s’ils offrent des services qui sont clairement des actes de chirurgie vétérinaire », concluent Josh Loeb et Eleanor Evans dans leur enquête.

En France, une mécanique totalement différente

« Dans les pays anglo-saxons, c’est assez particulier. C’est extrêmement commercial. Il existe un business autour de la reproduction qui répond à une demande, explique le vétérinaire Xavier Lévy, spécialiste en reproduction animale à la clinique « Les Poumadères » (32). En France, des praticiens peuvent proposer des consultations de reproduction au sein d’un clinique plus large, mais très peu de vétérinaires sont réellement spécialisés et compétents dans ce domaine ». Toutefois, le spécialiste note quand même une hausse du nombre de vétérinaires dans ce domaine, mais cette évolution ne serait absolument pas liée au « boom » de la reproduction assistée. « Il n’y a encore pas si longtemps, les vétérinaires manquaient d’outils de diagnostic et de traitement – et leur prix était exorbitant – pour pouvoir exercer dans cette discipline. Ainsi, les interventions concernant la reproduction se limitaient aux stérilisations », raconte Xavier Lévy. Puis on a eu de nouveaux outils, les équipements se sont démocratisés et donc la médecine autour de cette discipline a pu se développer. On a pu faire de nouveaux examens, poser des diagnostics, etc. » Toutefois, en France, cela reste un marché qui ne nécessite pas beaucoup de spécialistes puisque l’essentiel peut être fait par un vétérinaire généraliste. « Pour vous dire à quel point nous sommes peu, c’est que nos clients font en moyenne deux à trois heures de route pour venir chez nous », expose-t-il. Xavier Lévy souligne également que les prix sont 4 à 5 fois plus bas qu’au Royaume-Uni.

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« Dans ma clinique, la reproduction assistée est une pratique marginale, je dois faire une insémination tous les jours et une césarienne par semaine. Le principal de mon activité concerne le suivi des pathologies, les consultations pédiatriques, gérer des mises bas, etc. », précise-t-il. Ensuite, pour faire une césarienne, il faut une raison (chiot trop gros, malformation…). Nous refusons les césariennes de convenance, par exemple demandées par un éleveur anxieux. Pour les bouledogues, les personnes arrivent avec leur animal déjà gestant et donc, oui, si nécessaire, nous faisons une césarienne. Après, savoir si cette chienne nécéssitant une cesarienne aurait dû se reproduire, c’est tout à fait discutable. Mais nous ne sommes pas complices de ce genre de pratiques. Nous, vétérinaires, nous sommes un peu coincés. »

Des vétérinaires pour et contre

L’intérêt croissant porté par les cynophiles et les éleveurs de chiens aux techniques de reproduction assistée est directement lié aux bons résultats que l’on peut actuellement en attendre. Madeleine Campbell, spécialiste de la reproduction et diplomate européenne en bien-être animal du Royal Veterinary College, a été interrogée par les journalistes de « Vet Record » et estime que l’insémination artificielle est éthiquement admissible dans de nombreuses situations. « En effet, elle peut parfois avoir des effets positifs sur le bien-être, par exemple en supprimant la nécessité de transporter des animaux sur de longues distances ou à l’échelle internationale pour se reproduire, ou en aidant à maintenir la diversité génétique en facilitant les croisements entre des animaux géographiquement éloignés les uns des autres. Cependant, si l’insémination artificielle est utilisée pour réaliser des grossesses chez des animaux qui, pour des raisons anatomiques héréditaires, ne sont pas capables de se reproduire ou de donner naissance naturellement, cela a des implications négatives sur le bien-être et est une préoccupation éthique. En outre, si les enquêtes de « Vet Record » impliquent que des non-vétérinaires peuvent entreprendre des actes de chirurgie vétérinaire tels que des césariennes, cela est évidemment inquiétant et serait illégal. »

Thierry Bedossa, docteur vétérinaire en région parisienne et directeur du refuge AVA, n’est pas non plus favorable à ce recours massif aux techniques de procréation médicalement assistée dans les élevages canins. « Je pense que c’est sans doute le principal facteur à l’origine de l’explosion des maladies héréditaires chez les chiens de race et de leur perte de rusticité, déplore-t-il. À titre personnel, mes techniques de sélection sont très différentes : je laisse toujours les femelles choisir leur(s) partenaire(s) et ne recours jamais à autre chose qu’aux saillies et mises bas naturelles. Si une césarienne est nécessaire, je ne laisse plus la chienne se reproduire par la suite ». Le vétérinaire Xavier Lévy possède, lui, un avis plus modéré : « L’insémination peut sembler « artificielle » ou « malsaine », mais elle permet d’éviter plein de problèmes, explique-t-il. Dans une race, si l’éleveur choisit un étalon pour ses caractéristiques physiques, comportementales et génétiques, mais que la femelle ne veut pas être saillie, ou que le mâle n’a pas de libido, l’insémination est ce qui est le plus pratique et absolument pas douloureux. J’ai beaucoup entendu parler de saillie forcée, notamment en Irlande, et cela sort complètement de l’éthique. Après, oui c’est vrai, l’éleveur peut aussi choisir de ne pas se faire reproduire les deux chiens. » Il ajoute que l’insémination peut aussi être privilégiée lorsqu’un éleveur a un excellent étalon et qu’il le fait se reproduire avec de nombreuses femelles différentes, dans le but d’éviter la transmission de maladies vénériennes.

En France, l’insémination pratiquée par les éleveurs eux-mêmes 

En France, selon la Société Centrale Canine (SCC), l’insémination artificielle est obligatoirement pratiquée par un vétérinaire et seulement par l’éleveur si ce dernier est le propriétaire des deux chiens et qu’il s’agit d’une insémination avec de la semence fraîche et non congelée ou réfrigérée. « Cela permet au vétérinaire d’effectuer un contrôle sanitaire, de vérifier la bonne santé et l’identification des chiens, explique Xavier Lévy. Mais il y a deux ou trois ans, le journal interne de la SCC à destination des éleveurs a commencé à publier des articles tels que : « Comment faire une insémination ? », « Comment réfrigérer la semence ? », etc. Ils ont clairement affiché leur volonté d’indépendance. Ainsi, la plupart des inséminations sont pratiquées entre éleveurs sans aucun contrôle sanitaire, ce que nous regrettons. » Ensuite, le spécialiste de la reproduction explique que la réglementation de la FCI (Fédération cynologique internationale) impose au moins une saillie naturelle avant d’avoir recours à l’insémination. « Cette règle n’est pas toujours respectée et ne s’applique qu’aux chiens affiliés à la SCC, précise-t-il. Après, ce sont des actes qui restent marginaux et qui sont réalisés par souci de praticité et de réduction de coût pour les éleveurs », conclut-il.

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Publié le 14 mars 2020
9 minutes
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