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La traction animale : un retour vers le futur

Et si la remise au goût du jour de pratiques ancestrales était une réponse aux enjeux actuels de développement durable ? C’est tout le pari de la traction animale.

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La traction animale : un retour vers le futur
Sarah Macari

Deux crinières blondes avancent avec force et calme dans le domaine de Saint-Jean, en Haute-Corse. Sous la direction de leur meneur, Estime et Rikita, des chevaux de trait comtois de 4 et 14 ans, évacuent des troncs sciés afin de nettoyer ce site protégé. Nous sommes en novembre 2018, et cette opération de débardage à cheval constitue une première en Corse depuis 1961. Pour autant, Estime et Rikita n’en sont pas à leur coup d’essai. Durant l’été 2017, à Calvi, ils ont assuré, avec le renfort d’un autre cheval pour respecter des temps de repos, la collecte de poubelles triées de seize restaurants de plage. L’objectif : proposer une solution écologique de gestion des déchets dans une zone naturelle. Mission remplie haut le sabot puisque le travail des chevaux de trait comtois a remplacé l’utilisation de cinq camions et permis de sensibiliser les passants aux enjeux environnementaux.  

Un renouveau de cette pratique

C’est Erwan Berroche qui est à l’origine du projet. Après trente années d’expérience professionnelle dans le domaine du cheval, il est devenu ingénieur en développement durable pour créer, en 2017, sur l’île de Beauté, la société Terra d’Avvene. Cette structure est spécialisée dans la conception de projets en traction animale partout où les ânes, chevaux et mules peuvent mettre en valeur le territoire, tout en réduisant l’impact environnemental. Pour réaliser ses missions, Erwan Berroche s’entoure de prestataires locaux, comme le centre Equiloisirs-FAE de Corte, auquel appartiennent Estime et Rikita. Bien formés et en pleine force de l’âge, ils sont un « socle » pour développer les actions de traction animale en Haute-Corse. 

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Les chevaux de trait, et particulièrement les comtois, polyvalents dans leurs tâches, sont les équidés phares de la traction animale. On compte aujourd’hui quelque 66 000 chevaux de trait (source : Institut français du cheval et de l’équitation) en France contre plus de deux millions au XIXe siècle. La baisse drastique des effectifs est liée à la généralisation des voitures, camions et autres tracteurs qui, après la Seconde Guerre mondiale, les ont peu à peu remplacés. Pour permettre aux éleveurs de trouver de nouveaux débouchés commerciaux, l’État a soutenu, à partir des années 1970, le développement d’une filière de viande, transformant le cheval de trait en « cheval lourd ». « Aujourd’hui encore, 80 % des chevaux de trait sont destinés à la filière viande, 10 % au loisir et 10 % à la traction. L’idée, c’est que ces proportions s’inversent au profit de la traction animale », espère Erwan Berroche. Cet objectif est partagé par certains éleveurs, qui se sont organisés pour promouvoir la traction comme alternative à la boucherie. 

On observe ainsi depuis une vingtaine d’années un renouveau de cette pratique ancestrale, qui se traduit par la mise en place de formations professionnelles. Un certificat de spécialisation (CS) pour les utilisateurs de chevaux attelés (UCA) est par exemple délivré par le ministère de l’Agriculture. Les collectivités locales représentent les principaux employeurs. Parmi celles qui n’hésitent plus à faire appel aux équidés, Trouville-sur-Mer (Calvados) fait figure de pionnière, avec l’instauration, dès 2000, d’une collecte hippotractée des déchets en centre-ville. Puis, les services se sont diversifiés : entretien des espaces verts, nettoyage des rues… Selon Erwan Berroche, 660 communes en France ont lancé des opérations de traction animale, ponctuelles ou pérennes. Avec le développement de ces activités est né le « cheval territorial », c’est-à-dire un cheval effectuant des missions de service public. Un concept séduisant, car il permet de répondre « aux problèmes locaux liés à la motorisation, comme la pollution, le bruit ou la maniabilité », tout en faisant réaliser des économies. Pour certaines missions, le cheval permet de dépenser moins d’argent qu’il en faut pour l’achat, l’entretien et le fonctionnement d’une machine. Sans compter la popularité de la traction animale auprès des habitants, notamment dans la mise en place de certains services comme le ramassage scolaire. La traction animale représente ainsi un bon support de communication, voire de médiatisation pour les villes. On observe également un retour du cheval dans les champs, porté par l’essor de l’agro-écologie. La traction animale apparaît pour certains maraîchers et vignerons comme une technique aux multiples vertus, qui permet de préserver les cultures, d’améliorer la qualité des sols et de diminuer la pollution. 

Terra D’Avvene. À Calvi, en Corse, la collecte des déchets est hippotractée.

Le bien-être des équidés

En remettant le cheval au travail, la traction animale pose immanquablement la question du bien-être des équidés et du recours à de nouvelles pratiques. À commencer par les conditions d’élevage, qui ne sont plus celles des siècles passés. Les connaissances techniques ont également permis d’améliorer les équipements utilisés, aujourd’hui fabriqués dans des matières plus légères. Des attentions particulières sont portées sur l’alimentation et l’entraînement du cheval, et certaines parties de son anatomie, comme les pieds, font l’objet de soins renforcés. Enfin, le développement de l’éthologie permet d’établir de nouvelles relations avec l’animal, comme l’explique Laurent Couve, éleveur de chevaux de trait à la ferme du Mazel (Lozère) : « On prend aujourd’hui beaucoup de temps en période de débourrage pour former le cheval. On est dans une relation de communication avec l’animal, sans aucune notion de contrainte ou de peur. De manière générale, je pense qu’un rapport de confiance entre le meneur et son cheval doit s’établir. Ce doit être un partage, faute de quoi cela ne fonctionne pas. » Quant à Erwan Berroche, il en est convaincu : « Les gens qui travaillent en traction sont très respectueux de leur cheval. Dans ce milieu, il n’y a pas de notion de performance… » 

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Pour le créateur de Terra d’Avvene, qui, en langue corse, signifie « terre d’avenir », la traction animale n’est pas un retour en arrière mais bien un « retour vers le futur », capable de répondre aux enjeux de développement durable, tant au niveau écologique qu’économique et social. « Autrefois, on n’avait d’autre choix que d’utiliser le cheval. Aujourd’hui, privilégier la traction animale relève d’une envie et de convictions, dont celle de remettre du vivant dans nos sociétés et de donner la possibilité aux gens de se réapproprier le cheval », conclut-il. Et, à ceux qui le qualifieraient de doux rêveur, Erwan Berroche répond en citant Victor Hugo : « L’utopie est la réalité de demain. »

Le cheval de trait en France

La France compte neuf races de chevaux de trait : l’ardennais, l’auxois, le boulonnais, le breton,
le cob normand, le comtois, le percheron, le poitevin mulassier et le trait du Nord. Le franches-montagnes, d’origine suisse, est reconnu par la France comme cheval de trait depuis 2006. Si notre pays est l’un des rares à avoir conservé un patrimoine génétique aussi riche, on observe une diminution régulière des effectifs. Le renouveau de la traction animale est l’une des pistes envisagées pour enrayer le déclin du cheval de trait.

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Publié le 2 janvier 2020
6 minutes
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