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Jean-Philippe Noël : l’art de la supercherie dans le règne animal

À l’occasion de l’Université d’été de l’animal, organisée par la journaliste Yolaine de la Bigne du 22 au 25 août 2018 au château – et parc animalier – de La Bourbansais, en Bretagne, le journaliste animalier Jean-Philippe Noël présentera toutes les techniques de camouflage que les animaux mettent en place pour manger ou éviter d’être mangé mais aussi, parfois, pour favoriser la reproduction. Il est l’auteur de « Les Champions du camouflage », paru aux éditions Glénat en octobre 2018.

Jean-Philippe Noël : l’art de la supercherie dans le règne animal
Jean-Philippe Noël

Animaux-Online : Pourquoi vous êtes-vous intéressé au camouflage des animaux ?

Jean-Philippe Noël : Pour dire toute la vérité, c’est l’éditeur Glénat qui a eu l’idée de l’ouvrage. Mais lorsque j’ai accepté, je ne m’attendais pas à un tel travail de recherche et d’enquête. Le camouflage chez les animaux est un univers scientifique à peine exploré. Pourtant, il est l’une des bases de la théorie de l’évolution, car c’est en évoluant graduellement que certaines espèces sont parvenues à de tels degrés dans l’art de ne pas se faire remarquer. Mais quels en sont les mécanismes ? En combien de temps une espèce parvient-elle à se fondre dans son environnement ? Quelle connaissance un animal a-t-il de sa capacité à disparaître ? Comment un papillon de nuit sélectionne-t-il son support ? Le camouflage est devenu un véritable sujet scientifique il y a seulement une vingtaine d’années, et bien des questions sont encore sans réponse.

AO : Existe-t-il des catégories dans les stratégies de camouflage (mimétisme, forme, couleur…) ?

J.-P. N. : Depuis l’homochromie simple, où l’animal se contente de copier la couleur de son environnement, jusqu’à la copie de la forme parfaite d’une branche couverte de lichen, il y a de nombreuses formes de camouflage. Les scientifiques tentent de les classer : homochromie simple,  homochromie disruptive – destinée à casser la forme générale de l’animal – homochromie saisonnière ; sans compter les nombreuses homotypies où les espèces imitent les formes des éléments qui les entourent. Il ne faut pas oublier aussi les mimétismes qui permettent aux animaux de se copier mutuellement. Mais si on veut faire un classement rigoureux, on s’aperçoit vite que les frontières sont perméables, et qu’il n’est pas facile de ranger telle ou telle espèce dans telle ou telle catégorie, surtout qu’elle peut être homochrome à un moment de sa vie, mimétique à un autre…

AO : Quelle serait la technique la plus efficace ?

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J.-P. N. : Il n’y en a aucune ou elles le sont toutes. Ce qu’il faut savoir, en revanche, c’est à qui s’adresse le camouflage. Si votre prédateur a une mauvaise vue mais un odorat efficace, votre camouflage sera médiocre sur la forme, mais très performant dans l’odeur. Pour cette raison, l’homme peut trouver que, visuellement, certaines copies sont mauvaises ou très approximatives. Je pense par exemple à l’Ophrys bourdon, cette orchidée dont certains pétales imitent les femelles bourdons. À première vue, la copie est visuellement assez médiocre, car la fleur compte davantage sur ses phéromones, identiques à celles de la femelle pour tromper le mâle. Mais cela, notre odorat ne le perçoit pas.

Shutterstock. Ophrys boudon

AO : Quel serait l’animal champion du camouflage ?

J.-P. N. : Pour continuer sur la lancée de la question précédente, je dirais qu’il faudrait poser la question aux prédateurs. À nos yeux d’humains, le caméléon est longtemps apparu comme le champion toutes catégories. Ses capacités à changer de couleur sont presque devenues légendaires. Or, elles lui servent davantage à manifester ses changements d’humeur ou de caractères sexuels secondaires. On peut presque dire que les mâles font des combats de couleurs. Je pense que l’animal qui tient en ce moment le haut du pavé est la pieuvre. On découvre tous les jours ses merveilleuses capacités cognitives, qu’elle utilise aussi pour se camoufler. Elle est non seulement capable d’harmoniser ses teintes avec son environnement mais également la texture de sa peau et la forme de son corps extrêmement mou. Mais ce qui est étonnant, c’est qu’elle peut changer du tout au tout en un dixième de seconde et qu’elle est capable d’anticiper. On peut voir aussi sur le net des images de la pieuvre mimétique qui, tout en nageant, copie d’autres habitants des fonds marins : une sole, un serpent de mer ou une branche de corail.

Shutterstock. Une pieuvre est cachée parmi ces coraux…

AO : Pour quelles raisons un animal a-t-il besoin de se fondre dans le décor ?

J.-P. N. : Simplement pour survivre. C’est un des stratagèmes les plus employés dans la nature, que vous soyez une proie ou un prédateur. La question que l’on devrait se poser est : « Comment se fait-il que tous les animaux ne se camouflent pas ? » En fait, certains choisissent même de se faire voir. C’est ce qui arrive chez de nombreuses espèces d’oiseaux où les mâles sont très voyants alors que les femelles présentent un plumage cryptique. On peut même se demander si le fait d’être voyant n’est pas aussi une stratégie pour protéger l’espèce. Le mâle lagopède garde son plumage d’hiver bien plus longtemps que la femelle. Au début du printemps, il est donc plus repérable, et d’ailleurs plus souvent la proie des rapaces. Or, c’est la période pendant laquelle les femelles se mettent à couver et, grâce à leur plumage terne, passent inaperçues. On peut presque se demander s’il n’y pas une forme de sacrifice des mâles.

Shutterstock. Mâle lagopède avec son plumage d’hiver

AO : Personnellement, quel animal vous impressionne le plus ?

J.-P. N. : Ce qui m’a le plus impressionné, ce sont bien sûr les espèces que j’ai découvertes. Je pense particulièrement à certains criquets et sauterelles qui ressemblent incroyablement à des branches, à du lichen, à de la mousse ou à des cailloux. J’ai aussi un petit faible pour ce minuscule papillon dont les ailes copient le corps d’une araignée et qui, face à elle, se met à bouger de la même manière. Il y a aussi ce papillon dont le dessin des ailes représente des mouches. Mais il est bien difficile de savoir comment et pourquoi… Et si ce n’était pas seulement notre regard qui y voyait des mouches ? Autant dire que le camouflage est un art encore bien mystérieux.

« Les Champions du camouflage » est le lauréat 2019 du prix Chapitre Nature, catégorie « beaux livres ». Il paraîtra en anglais cet automne, chez l’éditeur canadien Firefly.

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