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Pierre Robert de Latour : 20 ans aux côtés des orques

Depuis 20 ans, l’apnéiste Pierre Robert de Latour perfectionne ses connaissances sur celles que l’on appelle injustement les « baleines tueuses ». Il sera présent à l’Université d’été de l’animal le 29 août, au château de la Bourbansais (35), pour raconter ces rencontres sous-marines qui l’ont marqué à jamais.

Pierre Robert de Latour : 20 ans aux côtés des orques
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Animaux-Online : Pouvez-vous vous présenter ?

Pierre Robert de Latour : Je suis un apnéiste-aventurier et expert-conférencier. Je travaille dans le domaine du comportement animal et notamment du comportement exploratoire des orques face aux plongeurs. Cela fait 20 ans que je pratique ces plongées, et que je rencontre, chaque hiver, les orques en Norvège. Après ces 20 années, j’ai eu à peu près 6 000 interactions sous-marines avec les orques, et j’ai eu envie de partager cette expérience en écrivant un livre.

AO : Vous utilisez une technique d’approche non invasive. En quoi consiste-t-elle ?

PRL : Approcher les orques, c’est quelque chose d’assez difficile. C’est une société qui est plutôt fermée et, la plupart du temps, elles refusent le contact parce qu’elles sont occupées. Elles ouvrent rarement leur espace, notamment aux plongeurs et même aux autres espèces. Je me suis aperçu avec l’expérience que certains angles d’approche, certains tempos permettaient d’être toléré dans un premier temps. Cette expérience, je la combine avec des théories, telles que la théorie de la proxémie de Edward T. Hall et la théorie de la communication non verbale de Albert Mehrabian. Ce sont des sociologues qui ont travaillé sur le langage corporel. C’est dans un premier temps vers l’étude de ce langage, chez l’orque, que se sont portés mes efforts.

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D’abord, pour s’approcher d’une orque, il faut un bateau. C’est illusoire de vouloir partir de la plage et de nager en direction des orques. Elles sont toutes beaucoup plus rapides que nous. Ensuite, l’embarcation doit vous déposer dans ce que j’ai défini comme étant la limite de la zone sociale de l’animal, qui est à peu près à 25-30 mètres. Pour s’approcher, il faut véritablement être en parallèle et venir stationner au même niveau que le groupe d’orques. Puis il faut essayer de prendre un tout petit peu d’avance, toujours en gardant cette direction. Si les orques veulent interagir, elles vont venir dans le sillage du bateau, sinon, elles ouvriront leur angle et s’éloigneront. C‘est ce que j’appelle une approche douce qui conduit à une rencontre respectueuse, ou à une esquive douce.

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Si on tente d’approcher les orques avec des angles qui sont différents – de face, ou juste derrière – on a affaire à des esquives qui sont plus dures, plus brutales, plus cassantes. Et l’on perçoit la gêne que l’on provoque. Ma méthode, c’est d’être invité dans le monde de cet animal, et non de forcer l’interaction.

AO : Sur les 6 000 rencontres que vous avez faites, laquelle retiendriez-vous ?

PRL : C’est avec une jeune femelle que l’on a baptisée « Leilani », qui est un nom hawaïen. Ça a été une rencontre d’une intensité que je pense n’avoir jamais connue. Les trajectoires étaient beaucoup plus directes. Elle émettait des sons dans l’eau qui n’étaient pas des sons répertoriés, lorsqu’ils se parlent aux autres. J’avais l’impression, véritablement, qu’elle cherchait à communiquer, à faire passer un message. Elle me frôlait. Cela pouvait même être intimidant, même sachant que c’était son caractère, sa personnalité bien à elle qui faisaient qu’elle agissait ainsi. Nos interactions, quand je la retrouve maintenant, sont toujours de ce type-là et c’est, quelque part, d’une puissance telle que même dans mes souvenirs, ça s’estompe, tellement c’est fort à ce moment-là.

AO : Pourquoi dites-vous que les orques sont votre famille ?

PRL : Il y a beaucoup de points communs entre cette civilisation océanique et la nôtre. Longévité aux alentours de 100 ans, articulations sociales, maturité sexuelle… C’est une des rares espèces animales qui dispose d’un langage verbal, comme nous. Les orques de Norvège ont à peu près 24 sons différents répertoriés. Je vous rappelle que nous avons 26 lettres de l’alphabet. On sait que les dauphins – et elles font partie de la famille des dauphins – sont capables de produire 60 000 mots différents en combinant ces sons. C’est à peu près ce que l’on peut aussi faire, nous, les humains. Il y a beaucoup de choses en parallèle.

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Également, dans ma propre famille, quand j’étais enfant, je n’étais pas forcément bien à ma place et il a fallu que je me trouve une famille de substitution. Dans un premier temps, je me suis senti bien, beaucoup plus sûr lorsque je nageais dans l’océan. C’était un milieu qui m’était familier, qui m’émerveillait. Jusqu’au jour où j’ai rencontré les orques. Là, j’avais vraiment le sentiment d’être à l’endroit où je devais être et que tout ce que j’avais vécu avant m’avait programmé pour ce moment-là. Et c’est ce que je fais depuis 20 ans maintenant.

AO : Que reste-il encore à découvrir de ces animaux très mystérieux ?

PRL : Ce sont des animaux très difficiles à observer car, bien qu’ils soient présents dans toutes les mers du globe, ils sont extrêmement mobiles et c’est difficile de les suivre. On commence maintenant à avoir quelques informations qui sont produites par les tags satellites mais avant ça, les travaux étaient très difficiles à conduire. On pouvait observer quelques ailerons à la surface, pendant une période très courte de l’année et du jour, et on ne savait rien de ce qu’il se passait sous l’eau. Je crois que j’étais l’un des premiers à véritablement m’immerger et à observer ces comportements sous l’eau pour pouvoir les rapporter, les explorer et essayer de les comprendre un petit peu. Et je crois que s’il y a un domaine dans lequel il y a des progrès à faire, c’est bien la compréhension du langage verbal. C’est quelque chose de mystérieux. On sait qu’ils se parlent, mais on ne comprend pas ce qu’ils se disent. Je crois que le jour où l’on sera capables de comprendre ce qu’ils se disent, on saisira qu’on a affaire à une intelligence supérieure, peut-être supérieure à la nôtre, et l’on sera plus à même de les respecter et de respecter leur environnement.

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AO : Pouvez-vous nous présenter votre association « Orques sans frontières » ?

PRL : Elle est destinée à faire connaître les orques, et les cétacés par extension, et à participer à leur protection. Nos actions sont surtout des programmes pédagogiques à destination des scolaires, mais tout public. Nous prenons aussi part à toute cette grande mouvance anti-captivité. Elle demande, en France, l’arrêt des parcs et la remise à l’état sauvage, ou en tout cas le retour dans un sanctuaire des animaux qui sont encore captifs, qu’ils soient dauphins, orques ou même les phoques, qui sont aussi des mammifères marins.

AO : Enfin, avez-vous de nouveaux projets pour la suite ?

PRL : Le projet de l’association, c’est de continuer à soutenir ces actions. Mon projet personnel, c’est de continuer à vivre ces rencontres aussi longtemps que mon corps me le permettra. J’avance en âge, je commence un petit peu à sentir le poids des années, la fatigue s’installe, la résistance au froid diminue… C’est quand même quelque chose de très dur, les conditions dans lesquelles on plonge, en hiver, au nord du cercle polaire, et toujours plus au nord chaque année. Ces contraintes sur l’organisme, je commence à les sentir, maintenant.

Il y a également un projet assez gros, qui est en phase de test aujourd’hui et qui concerne le son des cétacés, parce que là est la clé. Pendant de très nombreuses années, j’ai dédié mon travail au comportement et au langage corporel des orques et je suis passé à côté, je dois l’avouer, de toute la richesse de la production sonore de ces créatures. 

Frère des orques, de Pierre Robert de Latour. Éditions Glénat. Prix : 19,95 €

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