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Ludovic Dickel : le poulpe, cet Houdini des mers

Professeur d’éthologie à l’université de Caen, Ludovic Dickel n’a d’yeux que pour les poulpes, calmars et autres seiches. Rois de l’évasion, les céphalopodes ont bien de secrets à nous révéler. Ce sera chose faite au cours de la conférence que ce chercheur animera à l’université d’été de l’animal du 24 au 26 août au château de la Bourbansais.

Ludovic Dickel : le poulpe, cet Houdini des mers

A part les pronostics de Paul poulpe pour la coupe du monde de football 2014, peu de gens pensent qu’un céphalopode pense ? Pourquoi ?

Le poulpe est un mollusque, proche cousin des moules et des escargots. Il a en outre été connu dans la littérature depuis le moyen âge pour son aspect effrayant, insatiable et cruel. Il eût été scandaleux de lui attribuer une forme d’humanité (je paraphrase Victor Hugo par ces termes). Si vous ajoutez que, dans de nombreuses régions du monde, ces animaux n’ont été considérés que comme des bases de recettes culinaires (en salade, en friture, en sauce…), il est facile d’imaginer que l’intelligence qu’on pourrait leur prêter est une idée relativement « moderne ». Je précise « relativement » car l’intelligence du poulpe et de la seiche avait été soulignée par Aristote il y a plus de 2 millénaires.

Il paraît que c’est l’espèce, avec les primates dont nous sommes, qui a le plus développé ses neurones. 300 millions paraît-il ? Ça lui sert à quoi ?

C’est une question à laquelle on essaie de répondre, avec un certain acharnement, ces dernières décennies. Le gros cerveau de la pieuvre lui permet de gérer l’intégration d’innombrables informations sensorielles, probablement beaucoup plus nombreuses que celles que nous percevons nous-mêmes. Les mouvements de ces animaux ne sont pas contraints (facilités) par un squelette et des articulations. Ils peuvent prendre les formes qu’ils veulent et bouger leurs bras avec tous les degrés de liberté imaginables. On dit qu’ils possèdent un squelette hydrostatique, comme notre langue. Lorsqu’on considère l’énorme volume de cerveau humain qui est dédié à la seule perception et à la motricité de notre seule langue, on imagine mieux pourquoi des mollusques sans coquille ont développé de gros cerveaux. Ce développement cérébral unique a probablement eu des effets secondaires et connexes, comme par exemple des capacités à résoudre des problèmes, peut être une forme de conscience. En cela, il nous ressemble un peu…  

On dit que le poulpe est le roi de l’évasion. Cela tient-il plus à sa capacité à déformer son corps pour passer partout ou à sa capacité à résoudre des problèmes ?

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Oui, on a appelé le poulpe “le Houdini des mers ». Harry Houdini était un illusionniste célèbre du début du siècle dernier, connu pour ses incroyables tours d’évasion. Les capacités de la pieuvre sont effectivement étonnantes ; dans les élevages de poulpes, tous les aquariums doivent être solidement fermés et cadenassés en fin de journée (la pieuvre est plus active la nuit). Faute de quoi les individus vont se promener dans les canalisations, ou dans les bacs des voisins. Ces comportements illustrent très bien les capacités sensorielles (tactiles et visuelles) de l’animal pour détecter de petites anfractuosités, juger si elles sont de taille suffisante, et s’y glisser en s’aidant de leurs innombrables ventouses. Ils illustrent également à quel point les pieuvres peuvent être curieuses. Dans la nature, ces comportements servent probablement aux pieuvres à atteindre des endroits inaccessibles aux prédateurs.

On dit que c’est une espèce qui utilise des outils. Comment fait-elle et quels outils ? Dans quel but ?

Dépourvues de coquille, ces mollusques peuvent utiliser différents objets pour se protéger, comme des noix de coco évidées pour une espèce en Indonésie. Lorsqu’elles trouvent une noix de bonne taille, elles s’en emparent et les gardent pour un usage ultérieur. Certains auteurs n’hésitent pas à penser que ces noix de coco sont des outils, en se basant sur la même définition de l’outil qui est utilisée chez le jeune enfant au cours de son développement cognitif.

En quoi le poulpe inspire-t-il l’homme ? Ses ventouses ? Les changements de couleurs ? Sa manière de fuir (jet d’encre) ?

Plusieurs de mes collègues, américains ou israëliens orientent leurs recherches sur les pieuvres dans la robotique, ou plus exactement la « soft-robotique » (robot a squelette sans articulation). Ces robots auraient des capacités bien plus sophistiqués que les robots classiques. Les ventouses sont également de plus en plus utilisées dans l’industrie. Une pieuvre peut maintenir plusieurs dizaines de fois son propre poids avec ses ventouses.

Le poulpe aurait une proto-conscience. Qu’est-ce que cela veut dire ?

On pense que les céphalopodes pourraient être doués d’une forme de conscience « primitive », ou différente de la nôtre. C’est pourquoi on parle plutôt de conscience primaire que de proto-conscience. C’est un sujet de recherche émergent actuellement.

Quel est le processus d’apprentissage chez le poulpe ? Tout au long de sa vie ?

Un poulpe apprend probablement toute sa vie, même si ses capacités de mémoire s’atténuent avec l’âge (à 2 ans, ce sont des vieillards).

Y a-t-il transmission du « savoir » des plus anciens vers les plus jeunes ?

Non, la plupart des espèces de céphalopodes sont sémelpares. Cela signifie que la mère poulpe, qui ne connaît qu’un unique acte de reproduction, meurt peu après l’éclosion des milliers d’œufs qu’elle a pondus. Elle ne peut donc rien leur transmettre, à part la vie…

Pour s’inscrire à université d’été de l’animal, c’est ici

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