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Agatha Liévin Bazin : Des oiseaux plein la tête

A l’occasion de l’université d’été de l’animal, organisée par la journaliste Yolaine de la Bigne du 24 au 26 août 2018 au château de la Bourbansais en Bretagne, Agatha Liévin-Bazin dévoilera tout sur l’intelligence des crânes de piafs… euh des oiseaux ! Rencontre…

Agatha Liévin Bazin : Des oiseaux plein la tête
DR

« Blogueuse et dessinatrice amatrice depuis 2007, j’écume le web sous le pseudonyme d’Agatha Macpie pour discuter de sujets plus ou moins cruciaux pour l’avenir de l’humanité et dessiner sur divers thèmes, toujours animaliers. Dans la vraie vie, et sous mon nom officiel, Agatha Liévin-Bazin, je suis  éthologue et étudie le comportement animal à plein temps. » C’est ainsi, sur son blog « Le nid de pie » que la scientifique se présente, presque comme une plaisanterie. Pourtant, cette docteure en éthologie a travaillé très sérieusement pendant 4 ans au Laboratoire Éthologie Cognition Développement à l’Université Paris Nanterre et au Max Planck Institute for Ornithology de Seewisen, en Allemagne, tout en étant affiliée à l’Université Ludwig Maximilians de Münich, pour ma co-tutelle franco-allemande. Son sujet de prédilection ? L’intelligence et la vie sociale des oiseaux. Un sujet tellement passionnant qu’il a nourri sa thèse de doctorat ! 

Animaux-online.com : D’où vous vient la passion des oiseaux ?

Agatha Liévin-Bazin : En fait, ma passion pour les oiseaux me vient de ma première rencontre avec Léo, Shango et Zoé, les trois perroquets gris du Gabon avec qui j’ai fait mon premier stage au Laboratoire Ethologie Cognition Développement (LECD) de Nanterre. J’étais étudiante en première année de master et, alors que j’avais aussi postulé pour bosser avec les girafes du zoo de Vincennes, j’ai finalement été prise pour ce stage-ci. Parfois, cela se joue à peu de choses ! Enfant, j’étais beaucoup plus intéressée par les mammifères, les insectes, les reptiles et même les araignées (j’adorais les mygales) que par les oiseaux. C’est en découvrant toute la richesse de la relation que l’on pouvait avoir avec des perroquets et leurs impressionnantes facultés que j’ai voulu passer tout mon temps à les étudier et me consacrer davantage à la compréhension du monde des oiseaux. 

Coll. A. Liévin-Bazin

Vous êtes éthologue et avez consacré votre thèse au comportement de deux espèces d’oiseaux : les perruches calopsitte et les choucas des Tours, pourquoi ? Qu’ont-elles de plus que les autres ?

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J’ai choisi de travailler avec ces deux espèces d’oiseaux car elles appartiennent aux deux grandes familles superstars, étudiées en éthologie pour leur intelligence et leurs prouesses : les perroquets et les corbeaux. Ce qui m’intéressait tout particulièrement, outre qu’ils sont excessivement futés et qu’ils ont un très gros cerveau (comparable à celui de nos proches cousins les chimpanzés par rapport à leur taille), c’est l’importance des relations sociales entre les individus. Ces deux espèces vivent en grands groupes sociaux, et surtout, forment des couples fidèles sur le très long terme (voire à vie !). Les jeunes oiseaux ont aussi tendance à rester avec leurs parents, puis entre frères et sœurs. Ils ont le temps d’apprendre de leurs congénères et des liens particuliers se nouent entre eux. Je voulais donc étudier en quoi ces relations sociales et émotionnelles allaient avoir des conséquences sur les comportements des oiseaux.

Vous avez démontré qu’ils étaient capables d’empathie, de comportements pro-sociaux. Qu’est-ce que cela signifie pour un oiseau et comment l’avez-vous mis en évidence ?

Les comportements prosociaux sont toutes les actions réalisées pour améliorer le bien-être d’un congénère. La définition est valable pour toutes les espèces animales. Les comportements prosociaux peuvent donc prendre plein d’aspects différents ! Souvent en laboratoire, on teste la tendance d’un animal à récompenser un autre animal (avec de la nourriture le plus souvent), sans que ça ne lui coûte quoi que ce soit (contrairement à l’altruisme, qui représente un coût). C’est ce qui est le plus simple à mettre en place. Pour mon expérience, j’ai testé le partage alimentaire chez les perruches. L’expérience avait déjà été faite chez d’autres oiseaux de la famille des corbeaux, les corvidés (corbeaux freux, choucas…) et je voulais voir ce qu’il se passait chez des oiseaux de la famille des perroquets, si l’on observait des choses similaires. L’expérience s’est déroulée sur plusieurs années car je voulais comprendre comment le partage alimentaire changeait au cours du temps, et notamment si les oiseaux partageaient plus en étant jeunes, comme observé chez les corvidés. Et c’est effectivement le cas ! Et j’ai surtout pu voir des échanges entre frères et sœurs. Mais la fonction de ces échanges reste encore imprécise : est-ce que cela pourrait servir à s’entraîner avant de se mettre en couple ? A trouver un partenaire fiable par la suite ? Il reste encore plein de questions en suspens !

Peut-on mesurer leur capacité d’empathie en laboratoire ?

L’empathie, c’est la capacité à identifier les émotions des autres et à y répondre de manière adaptée, comme par exemple en venant en aide à un partenaire en difficulté ou en réconfortant un congénère en détresse. L’empathie est excessivement difficile à mesurer de manière rigoureuse en laboratoire. La plupart des observations se basent sur des comportements extrêmes exécutés dans des situations périlleuses : un animal qui affronte un prédateur, un autre qui se met en danger pour sauver un autre (par exemple en sautant à l’eau). Ce sont des cas de figure rares, intenses, où la vie de l’animal peut être en jeu et, bien évidemment (et heureusement !), les comités d’éthique empêchent de recréer ces situations artificiellement. Pour ma part, j’ai étudié la contagion émotionnelle, le niveau le plus simple d’empathie, la transmission d’une émission d’un individu à l’autre (comme lorsque l’on bâille en observant quelqu’un bâiller, ou lorsque que l’on est triste en voyant un ami chagriné). J’ai mis au point une expérience où j’ai diffusé des cris de détresse à chaque oiseau, ceux d’un compagnon auquel ils sont tout particulièrement attachés (frère/sœur, partenaire de couple, ami) et ceux d’un oiseau qu’ils connaissent, avec qui ils vivaient dans la volière mais avec lequel ils ne partagent aucune affinité particulière. Et j’ai mesuré les comportements exprimés après la diffusion de chacun de ces cris.  Contrairement à ce que nous avions toujours pensé, les cris ne provoquent pas seulement une réaction « automatique » de fuite, mais les oiseaux sont plus sensibles aux cris poussés par le partenaire dont ils sont le plus proches. Et ça ce sont les premières bases de l’empathie. Il y a une sensibilité donnée à l’émotion d’un partenaire. Cela ne veut pas dire qu’ils comprennent tout le détail de l’émotion de l’autre, et nous n’avons pas démontré de réaction « adaptée », mais ce sont des premières observations très encourageantes ! 

Coll. A. Liévin-Bazin. Dans ses expériences, Agathe Liévin-Bazin a testé le partage alimentaire chez les perruches.

L’empathie est-elle la même chez tous et pour tous ?

Tout comme la question de l’intelligence, la définition de l’empathie fait encore débat au sein de la communauté scientifique et n’est pas universelle. Certains scientifiques estiment que oui, les animaux agissent en aidant les autres car ils sont guidés par l’empathie, alors que d’autres pensent que ce n’est pas une capacité nécessaire pour venir en aide à des partenaires. Les années à venir seront, je l’espère, capables de nous éclairer davantage sur ce sujet, grâce à de nouvelles expériences et découvertes ! Mais la difficulté est immense pour tester de manière précise ce qui motive l’animal à agir ainsi. Il faut tout de même noter que les études menées sur l’empathie chez différentes espèces (primates et rongeurs notamment) montrent que la prosocialité est potentiellement motivée par l’empathie mais sont aussi influencées par plusieurs choses comme la familiarité ou la force du lien entre les animaux impliqués. Une étude chez les rats a montré qu’un rat ne libérait un congénère enfermé dans une boîte que s’il l’avait côtoyé par le passé. Si les animaux ne se connaissaient pas, le rat ne libérait pas son partenaire. Chez les primates, le partage de nourriture se fait davantage entre individus du même groupe, qui partagent un lien particulier (soit familial ou amical). L’empathie pourrait donc être influencée par la relation sociale entre les animaux. 

L’entraide est-elle nécessaire chez les oiseaux ?

 Chez les oiseaux, l’entraide peut prendre plein de formes différentes (partage de nourriture, coopération, défense collective du nid contre les prédateurs, alliance entre congénères…) et présente bien des avantages ! Il est crucial pour la survie des oisillons que les parents coopèrent. La plupart du temps, la femelle reste au nid et couve les œufs puis les oisillons et le mâle lui apporte de la nourriture ! Bien pratique pour garder tout le monde au chaud ! On a aussi vu, notamment chez les choucas, que les membres d’une même colonie pouvaient faire front pour chasser un prédateur comme un rapace. Tous les oiseaux foncent alors et harcèlent le gêneur jusqu’à ce qu’il s’éloigne de leur lieu de vie. L’union fait la force ! Des expériences en laboratoire menées à Nanterre ont également montré que les perroquets gris du Gabon pouvaient coopérer à deux pour obtenir de la nourriture. L’entraide n’est pas  absolument nécessaire à la vie de ces animaux, elle dépend, comme toujours, des conditions environnementales et du contexte, mais elle peut augmenter la survie des individus dans certains cas de figure.

Coll. A. Liévin-Bazin. Les choucas des Tours vivent en grands groupes sociaux où les comportements pro-sociaux sont importants.

Chez les oiseaux, y a-t-il des individus plus intelligents que d’autres, des espèces d’oiseaux plus intelligentes que d’autres ? Comment les distingue-t-on ? Le recours à l’outil ?

Question ardue ! En fait, de plus en plus, la personnalité des animaux est étudiée en éthologie. En effet, on peut observer rapidement au contact de tout type d’animal (oiseau, mammifère, poissons et tant d’autres) que chaque individu a un comportement qui lui est propre. Certains sont moins peureux, d’autres sont plus agressifs, etc. Pour ce qui est de dire qui est plus intelligent qu’un autre, c’est une question compliquée et une autre paire de manche ! Il faudrait déjà que tout le monde soit d’accord sur la définition même de l’intelligence, ce qui n’est clairement pas le cas à l’heure actuelle ! Selon les contextes (en groupe, seul, pour rechercher de la nourriture, face à un prédateur), chaque animal réagira avec une intensité et une rapidité différente, qui lui sera propre. Quand on confronte les animaux à un problème, certains sont plus rapides à résoudre ce problème que d’autres. Pour cette question donnée, on peut dire qu’ils sont plus intelligents, mais ce serait un peu réducteur (et pas très juste !), car le même animal pourra être très efficace sur une tâche différente. L’ « intelligence » est une capacité qui est intimement liée à l’environnement dans lequel évolue l’animal et ne peut être déconnectée d’un contexte précis. Si, par exemple, on demande à une poule et à une corneille calédonienne d’ouvrir une boîte en utilisant un outil, la poule sera clairement désavantagée car elle n’utilise pas d’outils en milieu naturel, alors que la corneille, si. Est-ce que les poules sont moins intelligentes pour autant ? Pas du tout ! Elles ont un milieu de vie et des besoins différents, et ne maîtrisent pas les mêmes compétences. Les très jeunes poussins savent compter et additionner, apprennent beaucoup de choses en observant leurs voisines et les poules ont des moyens de communication très sophistiqués pour prévenir les congénères de la venue d’un prédateur par le ciel ou par le sol. Les réponses seront différentes selon les cris émis. Elles ont donc elles aussi leurs points forts !

L’utilisation d’outils n’est donc pas la seule preuve d’intelligence ?

L’utilisation d’outils est une capacité que l’on a beaucoup étudiée chez les espèces animales car elle est très impressionnante, et plutôt rare à notre connaissance. Jusqu’à la fin des années 70 et les découvertes de Jane Goodall chez les chimpanzés, nous pensions même que c’était une capacité uniquement humaine ! Quand une équipe de chercheurs a observé des corneilles calédoniennes en faire tout autant au début des années 1990, ça a été un vrai bouleversement ! Depuis, de nombreuses études ont été menées, et de nouvelles espèces ont été observées en train de créer des outils comme les cacatoès de Goffin, des perroquets que l’on n’a jamais vus utiliser d’outils en nature. Ceux capables d’utiliser et/ou fabriquer des outils, bien sûr, déchaînent les passions. On suspecte qu’ils savent faire plein d’autres choses et on les étudie donc davantage. Mais là encore, c’est subjectif et aussi une question de mode ! On suspecte des capacités cognitives développées chez les colibris et les pics mais peu d’études se sont intéressées à eux encore, car tout reste à faire, et les oiseaux sont plus difficiles à héberger et élever en laboratoire

Alors, cervelle d’oiseau, ce n’est pas toujours une insulte ?

Pas du tout, on pourrait même dire que c’est un sacré compliment ! 

Pour s’inscrire à l’université d’été de l’animal, c’est ici

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