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Le retour fragile du lynx ibérique

En Andalousie, les équipes du centre La Olivilla sont dévouées à la préservation de ce félidé sauvage dont la population était réduite à 90 individus il y a une dizaine d’années. Le photographe Laurent Geslin a suivi le travail des biologistes et «piégé» le bel animal…

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Le retour fragile du lynx ibérique
Laurent Geslin

Dans le centre La Olivilla de Santa Elena, dans la province de Jaén en Andalousie, il n’y en a que pour le lynx ibérique ! Chaque jour, scientifiques et biologistes observent sur leurs écrans le comportement de ces gros chats aux larges pattes, à la robe tachetée, aux yeux comme cerclés de khôl et aux oreilles touffues. Rares et insaisissables, ces félins passionnent Laurent Geslin, guide naturaliste et photographe professionnel qui a passé trois mois au sein de ce centre afin de suivre l’immense travail réalisé par les équipes sur place.
Ouvert en 2007, le centre La Olivilla ; avec ses 23 enclos de près de 1 250 m2 chacun, ses 5 bâtiments hébergeant salles de laboratoire, cliniques, bureaux et logements ; est aujourd’hui l’un des plus grands centres d’élevage et de reproduction hors site du lynx ibérique. Il a ­participé au programme de sauvegarde et de réintroduction du lynx en Espagne et au Portugal, lancé au début des années 2000. L’objectif du lieu est clair : permettre au lynx ibérique de retourner dans son milieu naturel en étant capable d’y survivre et de s’y reproduire. Dès lors, toute la gestion et les soins du centre sont orientés en ce sens. À commencer par les enclos d’adaptation, préalables à toute réintroduction, qui sont enrichis en végétation naturelle, respectant la territorialité et l’organisation sociale de l’espèce. Les lynx ne sont mis en contact avec le sexe opposé qu’en période de reproduction. L’alimentation est essentiellement constituée de lapins vivants et des terriers sont creusés afin de développer et d’entretenir l’instinct de ces grands prédateurs. Les contacts avec l’homme sont réduits au strict minimum. Les surveillances et observations des animaux se faisant grâce à un système de vidéosurveillance et à la mise en place de colliers émetteurs.

Élevés pour être sauvages

Tout ce travail ne peut exister sans la capture préalable d’un lynx sauvage. Pour éviter de blesser l’animal et de trop le stresser, une proie est utilisée pour attirer l’animal vers une grande cage qui se referme dès qu’il en a franchi la porte. Les équipes s’approchent alors de la cage, en se cachant derrière une grande toile, avant de lui injecter un léger sédatif qui permettra son transport vers le centre La Olivilla. Son séjour n’y sera que de courte durée, le temps qu’il assure une descendance.
Sur l’écran, on pourrait croire que c’est un chaton, mais ses oreilles déjà bien pointues montrent bien un tout jeune lynx. Grâce au système de vidéosurveillance, le petit est observé jour et nuit par l’équipe de scientifiques. Né en captivité, il sera lâché une fois qu’il sera en mesure de chasser sa nourriture pour assurer sa survie. Pour cela, son comportement, son évolution, mais aussi son apprentissage de la chasse sont scrutés par les hommes. Les lynx qui sont jugés inaptes à se débrouiller seuls resteront au centre pour assurer la reproduction de leur espèce.
Avant d’être lâchés, les lynx subissent de nombreux examens et bénéficient d’un check-up complet de la part des vétérinaires. Déclarés aptes, ils sont équipés d’un collier émetteur qui permettra aux scientifiques et aux biologistes de les suivre et d’étudier leur comportement sur le terrain. Ce suivi est primordial pour la réussite du programme de sauvegarde de l’espèce et, pour l’assurer, les équipes parcourent chaque jour de nombreux kilomètres, munies d’antennes qui leur permettent de recueillir les informations transmises par le collier émetteur sur l’étendue du territoire du félin et sur ses relations avec les autres lynx. La photographie est aussi un moyen de collecter des informations précieuses. Mais ­photographier un lynx dans son milieu naturel est une chose extrêmement difficile tant l’animal est méfiant.

Traque photograhique

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Laurent Geslin, qui le traque depuis de nombreuses années en France et en Suisse, en sait quelque chose. Pour y parvenir, il a recours aux pièges photographiques. Cette approche nécessite de longues heures d’observation et de repérage pour localiser le lynx. Tous les signes de présence sont bons à prendre : crottes, marquage, poils, traces.
Une fois les lieux de passage localisés, des appareils photographiques sont installés et ne se déclencheront automatiquement que lorsque l’animal franchira une barrière infrarouge, invisible pour lui. Durant son séjour au centre La Olivilla, Laurent Geslin a placé trois pièges photographiques dans des endroits difficiles d’accès. Mené en étroite collaboration avec les équipes scientifiques, son travail a très vite porté ses fruits puisque les clichés ont révélé la présence d’un splendide lynx pesant tout juste 15 kilos. Ces photos sont des outils précieux pour les biologistes car elles permettent notamment de créer des arbres généalogiques en identifiant chaque lynx précisément grâce aux motifs de leur fourrure, à leurs particularités physiques, et d’en estimer la population. Certains lynx capturés par l’objectif de Laurent Geslin portent un collier émetteur, attestant de leur passage au centre. D’autres, au contraire, n’en sont pas pourvus et les scientifiques procèdent alors à de nouvelles identifications.
Le programme de sauvegarde du lynx ibérique mené au centre La Olivilla comporte un volet pour le moins original : la réintroduction du lapin sauvage. Cette espèce constitue 90 % de l’alimentation du lynx. À ce titre, elle est indispensable à sa survie. Or, dans les années 1950, un médecin français a eu la très mauvaise idée, pour protéger son potager, de contaminer des lapins sauvages en leur transmettant le virus de la myxomatose. L’épidémie traversa toute l’Europe en décimant, dans certaines régions, près de 99 % de la population des lagomorphes. Les conséquences furent catastrophiques, aussi bien pour les proies que pour les prédateurs, brisant toute une chaîne alimentaire et amorçant la chute des populations du lynx ibérique.

Sauver les lapins

C’est pourquoi la réintroduction des lapins sauvages sur les terres du lynx ibérique a été décidée par le conseil régional d’Andalousie, et elle est une composante essentielle de l’action du centre. Pour que le territoire du lynx soit viable, pour qu’il puisse se le réapproprier et surtout s’y reproduire naturellement, les vétérinaires estiment qu’il faut près de cinq à six lapins sauvages par hectare. Alors, chaque jour, des lapins nés en captivité sont lâchés sur les terres du félidé, en espérant que l’augmentation du nombre de proies fera grimper le nombre de lynx. Mais la maladie des lapins n’est pas la seule menace pour le lynx. C’est pourquoi de nombreuses actions de sensibilisation sont menées auprès des populations, notamment pour combattre le braconnage et la chasse illégale. Parallèlement, des compensations financières sont allouées aux propriétaires fonciers qui aménagent leur terrain avec des passages et des tunnels pour restaurer l’habitat du lynx, quadrillé de routes et de barrières.
Si le centre La Olivilla est l’un des plus grands pour la sauvegarde et la réintroduction du lynx ibérique, il n’est heureusement pas le seul. Grâce au programme Life+Iberlince, mis en place par les autorités locales et la Commission européenne au début des années 2000, trois autres centres similaires ont été créés dans le sud de l’Espagne et un, plus récemment, au Portugal.

De nouvelles menaces

Il y a plus d’une décennie, le lynx ibérique était sur le point de disparaître, avec seulement 90 animaux enregistrés dans les régions d’Andujar et de Donana, au sud de ­l’Espagne. Aujourd’hui, ils sont plus de 400 dans la nature, répartis principalement en Andalousie. Dix individus vivent dans la vallée de Guadania, au Portugal, où pour la première fois depuis près de quarante ans, un lynx ibérique est né à l’état sauvage en mai 2016. Depuis le lancement de Life+Iberlince, qui fédère les efforts des autorités publiques, des organisations écologistes et des associations de chasseurs, près de 140 lynx ont été lâchés dans la nature. La réussite de ce programme de protection et de conservation hors site du félidé est telle qu’il est étudié pour sauvegarder et/ou réintroduire d’autres espèces, comme le lycaon en Afrique du Sud, le lynx d’Europe en Europe du Nord, ou encore le loup dans le parc de Yellowstone, aux États-Unis.
Le 22 juin 2015, l’UICN* a décidé de retirer le lynx ibérique de la liste des « espèces en danger critique d’extinction », le classant désormais dans la catégorie des « espèces en danger ». Alors, peut-on dire pour autant que le combat est gagné et que l’espèce est sauvée ? Si Miguel Simon, directeur du programme Life+Iberlince, exprime cet espoir, il n’en demeure pas moins très inquiet. En effet, le nombre de lynx tués chaque année sur la route est en constante augmentation. Les accidents deviennent même une cause majeure de mortalité. Selon le recensement de 2015, 51 animaux ont été percutés par des automobiles durant les trois dernières années. Pour Miguel Simon, c’est une triste donnée, mais qui va de pair avec l’augmentation de la population de lynx. Cela le conforte dans sa décision de poursuivre les efforts d’aménagement et d’entretien des souterrains et passages naturels afin de permettre aux lynx d’éviter les routes.
Depuis 2011, une nouvelle préoccupation vient ternir le tableau puisque les lapins de toute l’Europe du Sud sont à nouveau victimes d’une épidémie. Il s’agit de la maladie hémorragique virale du lapin, extrêmement contagieuse.
Face à ces menaces, certains pensent que la décision de l’UICN était prématurée. C’est le cas d’Emilio Virgos, un expert du lynx à l’université Rey Juan-Carlos de Madrid, qui estime que l’extinction du lynx ibérique est malheureusement encore possible d’ici à quelques décennies si les efforts de conservation ne sont pas poursuivis…
*Union internationale pour la conservation
de la nature.

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