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Le piège des contrats aidés

Pour la majorité des refuges qui appellent à l’aide, la cause de leur prochaine faillite est la fin des contrats aidés, annoncée par le gouvernement d’Edouard Philippe en juin 2017. Sans personnel, ou désormais recruté à prix d’or, leur fragile équilibre économique s’effondre.

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Le piège des contrats aidés
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On va mettre la clé sous la porte »… « Je suis désespérée »… « On nous a trahis »… Dans le monde de la protection animale, la colère côtoie le désespoir depuis la fin programmée des contrats aidés annoncée à la fin de 2017. Et ce ne sont pas les S.O.S., coups de gueule et autre lettres ouvertes qui vont changer les nouvelles règles. D’ici à fin 2019, le monde associatif ne pourra plus recruter des employés (ou renouveler leurs contrats) avec un coup de pouce financier sur leurs salaires, payés par l’Etat, de 66 % jusqu’à 75 % selon le dispositif. « Les contrats financièrement aidés existent depuis longtemps, explique Kosma Brijatoff, directeur général du refuge AVA, que ce soit par la réduction des cotisations patronales ou par le remboursement de celles-ci. Mais c’est vrai que l’arrivée, pour le monde associatif, des CAE/CUI* [sous le quinquennat Sarkozy, Ndlr]a permis aux refuges de disposer d’un personnel plus nombreux car beaucoup moins cher. »

Les contrats aidés étaient d’un vrai soutien

C’est bien simple, un employé recruté dans le cadre d’un CDI sans subvention coûte quatre fois plus cher qu’un employé en contrat aidé, surtout dans le dernier dispositif des contrats d’avenir déployé durant le quinquennat de François Hollande qui portait la subvention à 75% du salaire brut. Pour entrer dans le dispositif, il fallait simplement en faire la demande et Pôle emploi se chargeait de trouver les bénéficiaires potentiels parmi les chômeurs de longue durée, sans formation et sans espoir de retour à l’emploi. « A AVA, je l’avoue, on s’est rué dans la brèche, confesse son dirigeant. En 2017, sur les dix-huit employés que comptait notre refuge, seize l’étaient sous un contrat aidé ou un autre. » Même son de cloche à l’Aspa de Manosque : « On a eu jusqu’à six contrats aidés qui s’occupaient du nettoyage, du nourrissage, des soins et des sorties des animaux, reconnaît Christine Cocordano, sa trésorière bénévole, mais aujourd’hui, deux n’ont pas pu être renouvelés et je n’ai pas les moyens de les embaucher. »

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Car la crise que traversent actuellement les refuges est principalement là : ils n’ont pas les ressources pour payer, seuls, les salariés qu’ils recrutent. « En réalité, on privilégie la quantité à la qualité, avoue Kosma Brijatoff, même si les contrats aidés nous ont permis de stabiliser notre personnel et de le professionnaliser. Mais quand il s’est agi de transformer un contrat aidé en CDI, on a toujours préféré prendre un nouveau contrat aidé. »

Une prise de conscience brutale

AVA n’est pas la seule association à s’être laissé piéger par les contrats à moindre coût puisque, au niveau national, 75 % de leurs bénéficiaires sont retournés à leur situation initiale. Seulement 25 % ont signé un CDI. Ce qui a justifié la fin du dispositif aux yeux du gouvernement Philippe qui lui a adressé trois reproches : son coût pour l’Etat, son inefficacité dans la lutte contre le chômage et la réinsertion professionnelle. « On est conscient que ce dispositif coûte très cher à l’Etat, admet la trésorière bénévole de l’Aspa de Manosque, mais on fait comment, nous, aujourd’hui, quand on ne peut plus avoir les personnes nécessaires à l’accueil et à l’entretien des animaux qu’on a recueillis? On les euthanasie? »

Pour beaucoup de refuges, la prise de conscience de la réalité économique est douloureuse car elle s’est faite brutalement, sans préparation ni accompagnement. « Je réalise aujourd’hui que le coin de paradis que j’ai créé il y a seize ans, autour de ma maison, avec l’héritage de mes parents, est une petite entreprise, confie Catherine Bourdin, du refuge Au bonheur des quatre pattes. Sur les 77 chiens qui vivent ici, une trentaine sont dans la maison, au centre du refuge. Je ne m’attendais pas à cela lorsque j’ai accueilli le premier chien. Je suis un peu désespérée car ce n’est plus simplement s’occuper des animaux et les sauver. »

Pourtant, si les problèmes que connaît actuellement Catherine Bourdin frappent des dizaines d’autres structures, certaines reconnaissent ne pas être concernées. « Tout simplement parce qu’on n’a jamais pris de contrat aidé, lance Tonio Ruis de S.O.S. Vieux chiens. On n’en a jamais eu les moyens! Lorsqu’on a commencé, il y a cinq ans, nous avions un budget de 3500 euros par an pour faire fonctionner notre refuge. Ma femme et moi sommes bénévoles. Aujourd’hui, on est à 25000 euros et on a atteint un équilibre qu’on veut maintenir à tout prix. » Ce qui veut dire, concrètement, que S.O.S .Vieux chiens limite les entrées des animaux. « A partir d’une trentaine de chiens, on ouvre une liste d’attente. Ça peut paraître cruel, mais on veut être pragmatique. Ici, on accepte un chien sur cinq qu’on nous propose de sauver. Mais on ne peut pas faire plus. L’amour ne suffit pas. » Trop pauvre aussi, même pour un contrat subventionné à 75 %, Emilie N’Guyen, de l’association Les amis des chats, s’est toujours occupée seule, ou avec l’aide de bénévoles, des chats qu’elle a pris sous son aile.

Petits VS grands refuges

A l’extrême opposé, les refuges qui disposent de fonds importants ne semblent pas touchés non plus. C’est le cas de la SPA de Lyon et du Sud-Est qui n’a aucun salarié sous contrat aidé sur la vingtaine qu’elle emploie. « C’est trop compliqué à gérer, expose Gino Bardet, son directeur technique, et quand on voit dans quelle panade sont les refuges qui y ont eu recours, on n’a aucun regret! » Le visage de la protection animale serait-il en train de changer ? En opposant les riches aux pauvres ? D’un côté, ceux qui ont les moyens d’embaucher pour s’occuper des animaux, dans un certain cadre « professionnel » ; de l’autre ceux qui sont sans le sou (ou si peu) et se de- brouillent comme ils peuvent ?

« Meme si je le pouvais, cette annee, je ne peux pas proposer un CDI a un employe car notre refuge vit a 95 % de dons, souligne Christine Cocordano de l’Aspa de Manosque. Et on sait a quel point ils varient d’une annee sur l’autre. Comment pourrais-je m’engager aupres d’un salarie ? » Pour AVA, qui n’a pas d’autre choix que d’embaucher pour assurer l’entretien des 400 animaux dont le refuge a la charge, il faut trouver 150 000 euros supplementaires pour boucler le budget annuel (l’equivalent des aides versees par l’Etat pour les contrats subventionnes). A la fin de l’annee 2017, ce sont deux donateurs providentiels qui ont permis d’eviter la catastrophe mais tout est a refaire pour 2018. « C’est bien simple, AVA est l’exemple type du refuge de l’entre-deux, schematise Kosma Brijatoff. Soit tu es tout petit, amateur et tu bricoles sans salarie avec une petite dizaine d’animaux, soit tu arrives a une taille importante, capable de rassembler au moins un million d’euros par an et tu geres la structure comme une entreprise. Entre les deux… tu meurs !»

Former pour embaucher :

Si le monde de la protection animale doit faire son deuil des contrats aides, un nouveau contrat d’insertion subventionne est propose par le gouvernement depuis quelques mois : le Parcours emploi competences (PEC). Mais, contrairement aux precedents contrats aides, son recours est strictement encadre pour permettre une reelle insertion professionnelle du bene ciaire. Ainsi, le refuge ou l’association qui en fait la demande doit s’engager a accompagner le futur salarie, notamment par la formation. A ces conditions, l’employeur bene cie d’une aide de l’Etat de 30 a 60 % du Smic brut. Si la formation n’a pas ete dispensee, l’employeur n’aura plus acces au PEC. Des conditions irrealistes pour certains, comme Christine Cocordano, de l’Aspa de Manosque : « D’abord, il faut qu’on paie les formations (certaines coutent plus de 2 000 euros) sur le temps ou ils sont censes travailler, deplore-t-elle. Et puis, une formation pour quoi ? Apprendre a ramasser les crottes ? »

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