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La ferme de tous les espoirs

À la ferme de Suzi Handicap Animal, les animaux blessés oublient leur calvaire passé auprès de Stéphanie Lisicki. Cassés par la vie, les accidents ou les hommes, ces éclopés se remettent de leurs blessures à l’âme et au corps.

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La ferme de tous les espoirs
Arnaud Beinat

Quand ils broutent, Winnie et Iris se déplacent en claudiquant lourdement. Mais ils marchent, ce qui est en soi remarquable. Le premier est un pottok âgé de 7 ans qui a un jour posé le sabot sur un piège à renard. Si Winnie a réussi à s’en dégager seul, ce fut au prix d’une jambe broyée qu’il a fallu amputer. Laissé à son sort pendant trois ans, puis vendu sur un site Internet, il a été récupéré par l’association Suzi Handicap Animal qui l’a enfin fait soigner. Ce furent pour lui des mois de harnais pour redresser sa colonne vertébrale, puis d’autres mois pour lui faire accepter une prothèse. A ses côtés se tient Iris, une petite ponette de 12 ans. Une fois opérée d’une tumeur au pied, elle fut, comme Winnie, abandonnée par son propriétaire. Sans doute unis par le malheur d’avoir perdu une jambe, les équidés appareillés sont désormais inséparables et profitent en duo de l’herbe grasse de Normandie.

La petite chèvre Flora a été laissée sans soins avec une patte cassée qui s’est consolidée dans cette position. ©Arnaud Beinatdescription

Suzi Handicap Animal est une association dont l’existence remonte à avril 2014. Sa mission : recueillir les animaux blessés ou handicapés, souvent à la suite d’un long martyre. À sa tête, Stéphanie Lisicki, une jeune femme totalement investie dans la cause animale : « Je baigne dedans depuis toujours : ma mère tenait déjà un refuge. Le nom de Suzi vient d’une jument handicapée que j’ai eue à l’âge de 8 ans. J’en ai pris soin pendant 14 ans, je ne me séparais jamais d’elle, je l’emmenais en vacances. Elle est morte il y a cinq ans… ».

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Soumis, comme tout refuge, aux contrôles des services vétérinaires, Suzi Handicap Animal abrite déjà une trentaine de chiens, une soixantaine de chats, une trentaine de chevaux, des chèvres, cochons, moutons, et lapins, et même un furet et un cochon d’Inde. Tout ce petit monde vit dans et autour d’une ferme de 4 hectares située à Montreuil-au Houlme, dans l’Orne, au lieu-dit Le Fonteny. Stéphanie y consacre toutes ses journées, soutenue dans sa tâche par une dizaine de bénévoles. « J’espère bientôt pouvoir trouver une solution pour avoir une autre personne à temps plein lorsque les travaux seront terminés, car nous abritons déjà près de 130 animaux et il y a beaucoup de travail ».

Georges et Tartine, dont il est tombé amoureux. ©Arnaud Beinat

L’entraide comme règle

Beaucoup de travail et beaucoup de souffrance aussi. Car ces protégés pansent les blessures d’un parcours impensable. Ici, un chat aux pattes arrière coupées au sabre ; là, un mouton aux genoux cassés ; plus loin, des chiens qui se traînent, le dos rompu… Ainsi, Cheyenne et Pinta, deux petits chevaux shetland, se remettent-ils peu à peu d’une vie brisée. Cheyenne a eu les yeux si abimés dans le cirque où il travaillait qu’on a dû les lui enlever d’urgence. Pinta est une jument borgne et incontinente, très probablement battue. Pour lui nettoyer sans risque l’arrière-train, Stéphanie doit l’endormir. L’oeil qui lui reste, Pinta le prête bien volontiers à son inséparable compagnon privé de la vue.

Sans doute conscients de leurs faiblesses, les animaux qui ont eu la chance de se retrouver dans la ferme de Stéphanie laissent derrière eux une partie de leurs instincts. Comme si leurs malheurs supprimaient leurs différences et les obligeaient à l’entraide. Warrior, une petite chienne frappée d’ataxie, une pathologie neuro-musculaire qui lui enlève tout équilibre, dort en compagnie de deux chats, l’un borgne et l’autre paralysé.

Privée de ses yeux, Cheyenne compte sur Pinta, elle-même borgne. ©Arnaud Beinat

Dans une autre pièce à nettoyer en continu à cause de l’incontinence de certains sujets, il y a Sparky, un chien loup tchèque dont la mère fut irradiée à Tchernobyl. Né lourdement handicapé, le chiot a été récupéré par Stéphanie après trois jours de voyag en camion : « On lui a retiré une patte qui lui avait poussé dans le cou, l’autre est atrophiée et il souffre d’une inversion du coeur ». Sparky se déplace dorénavant avec un petit chariot qui lui offre une certaine autonomie. Très habile sur ses pattes arrière, il adore jouer avec ses congénères. Parmi ceux-ci, Buzuka est une chienne croisée labrador exfiltrée de Roumanie par l’une des associations locales qui travaillent avec Suzi. On lui avait tranché le museau à la hache. C’est un chirurgien de Deauville qui l’a opérée pour qu’elle respire de nouveau par le nez. En dépit de sa « gueule cassée », Buzuka déborde d’affection et tente de lécher le visage de Stéphanie.

Suzi Handicap reçoit une quinzaine de demandes de placement par jour. Elles émanent majoritairement des autorités après qu’elles ont retiré un animal à son propriétaire. Il y a par ailleurs de nombreux abandons, souvent pour cause d’incontinence. Sans vergogne, certains propriétaires veulent parfois récupérer leur animal une fois celui-ci remis en forme, une démarche que Suzi Handicap refuse catégoriquement de cautionner.

Avec son museau tranché, Buzuka tente d’embrasser Stéphanie. ©Arnaud Beinat

Une réponse au handicap

Même si leur chemin s’arrête souvent pour toujours à la ferme de Fonteny, ce n’est pas un malheur pour ces animaux. Bien au contraire ! Ce refuge est l’endroit de tous les espoirs. Comme celui d’être aimé et d’aimer à nouveau. C’est le cas de Georges, un perroquet de 3 ans et demi auquel il manque une patte, mais qui a conservé son caractère et son autorité au point qu’il est devenu le patron d’un groupe de chiens incontinents et paralysés. Il est même tombé amoureux de Tartine, une petite cocker qui a été démembrée. Capable de prononcer son nom, le volatile veille sur elle et devient agressif dès qu’on y touche : « S’il a décidé qu’on ne la prenait pas pour le bain du matin, ce n’est pas la peine d’insister, plaisante Stéphanie. Il va pincer ou mordre ! ».

Françoise, petit poussin d’élevage au bec déformé, a également trouvé refuge dans les mains de Stéphanie. ©Arnaud Beinat

Promis à une mort certaine à la naissance à cause d’un bec déformé, un petit poussin de batterie a été remis à l’association par un stagiaire étudiant en agriculture qui voulait prouver que l’animal pouvait vivre, pour peu que l’on s’adapte à son problème. Car l’association ne se contente pas de recueillir des éclopés ; elle apporte une réponse possible à leur handicap pour améliorer leurs conditions de vie. Une prothèse coûte 1000 euros pour un chat, mais 5 000, voire 10 000 euros pour un cheval. Les soins vétérinaires se chiffrent à 7 000 euros par mois, auxquels s’ajoute un budget annuel de fonctionnement de 16 0 000 euros. Les membres de l’association organisent des randonnées à moto et des soirées pour récolter des fonds, et ouvrent aussi les portes de la ferme aux écoles. Loin d’effrayer les enfants, la rencontre de Bichou, un amour de cochon de 3 ans, dont la colonne vertébrale a été consolidée par des plaques en acier, les ravit et leur enseigne l’essentiel de l’existence.

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